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allemands de la renaissance. Même à l’époque où l’influence française était prédominante, ou, pour mieux dire, toute-puissante en Allemagne, Gottsched revendiquait encore hautement l’honneur dû, selon lui, aux caractères distinctifs du génie germanique. Herder recueille toutes ces indications et les fond dans un tableau d’ensemble qui restera fixe désormais. Les Allemands l’adopteront, s’y reconnaîtront avec ingénuité. Aux jours d’épreuve, ils y trouveront une source de force morale. Convaincus qu’ils sont vraiment les originaux de ce portrait, ils ne perdront pas tout ressort et toute confiance en eux-mêmes. Ils seront prémunis contre l’excès de l’abattement et du désespoir.

« Deux qualités maîtresses, dit Herder, distinguent d’abord le caractère allemand : le courage et la fidélité. » Le courage s’est assez illustré dans toutes les épreuves que l’Allemagne a subies depuis des siècles et auxquelles toute autre nation, moins énergique, aurait succombé. Par fidélité, Herder entend la sincérité, le respect de la foi jurée, de la parole donnée, l’horreur de la perfidie, du mensonge et de la duplicité. Cette fidélité, plus encore que le courage, est le signe particulier de la nature allemande. Déjà Luther avait dit, et Fichte le répétera, que la véritable origine de la réforme a été dans la droiture allemande, qui ne pouvait se plier au mensonge italien. « On a voulu, dit Herder, refuser à notre nation bien des mérites de l’esprit... Mais ce que l’on n’a jamais pu contester à ses braves citoyens, à ses héros, à ses bons rois, c’est la bravoure, la fidélité, la bonne foi. Leur parole valait mieux qu’un serment et qu’un écrit contresigné du sceau officiel. Le seigneur se reposait sur ses vassaux et les vassaux sur leur seigneur : voilà ce que nous trouvons dans les vieux proverbes allemands. » A l’occasion, les contemporains de Herder renchérissent sur cette idée. Schiller, dans une de ses premières poésies, laisse entendre que, le Rhin une fois passé, il ne faut plus s’attendre à rencontrer la bonne foi sur son chemin. Kant voit dans le mensonge le type même du mal moral et de la dégradation, l’avilissement de la personne humaine. Et d’où vient cette horreur caractéristique pour toute tromperie, toute fourberie, même dans les mots, même innocente? C’est que le respect de la vérité est la base de la moralité. Or la nature allemande est avant tout essentiellement morale. « Par là, dit Herder, l’Allemand se distingue de toutes les autres nations. » Les autres peuples peuvent supporter et entretenir en eux-mêmes une certaine immoralité. Ils ont l’habileté de la déguiser, de l’orner, de la transformer enfin de telle sorte qu’ils en vivent, ou du moins qu’ils s’y accommodent. L’Allemand ne le peut pas. Sa nature intime répugne trop à l’immoralité pour qu’il en invente jamais une forme