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Partie de Bridia le 17 mai, la colonne toucha, le 20, à Tlemcen qu’elle ravitailla, et se rendit au camp de la Tafna, le 23; cette marche de six jours, sans rencontre avec l’ennemi, ne fut, à vrai dire, qu’une promenade militaire. Les hommes étaient dispos ; les mulets seuls, blessés par les bâts apportés de France et mal construits, étaient en mauvais état : vingt-cinq étaient morts en route, soixante avaient été laissés à Tlemcen ; une grande partie des autres était à peu près hors de service. Elle avait bien souffert depuis quinze mois, la pauvre cité du Méchouar, d’après la description qu’en faisait le lieutenant-colonel de Maussion, chef d’état-major de la colonne : « Nous sommes venus, disait-il, sans un coup de fusil jusqu’à Tlemcen, ville déserte, plus désolée, plus ruinée que jamais, et en même temps plus magnifique de site et de végétation que je ne l’avais encore vue. Les pluies et les neiges qui ont fait crouler les maisons abandonnées ont donné à la verdure un éclat extraordinaire. Les habitans ont semé tout ce qu’ils peuvent défendre, c’est-à-dire une enceinte d’une lieue et demie environ, et dans la ville tous les intérieurs de cours, tous les débris, toutes les ruines. Ces moissons s’annoncent pour être magnifiques, mais elles ne suffiront pas pour nourrir six mille personnes ; aussi l’émigration est-elle très grande. De Tlemcen ici, nous n’avons pas vu un ennemi, nous n’avons touché ni aux moissons ni aux maisons des Kabyles, ce que j’approuve fort. » Cette abstention d’hostilités de part et d’autre annonçait évidemment que la pacification était proche ; les négociations étaient reprises. En attendant, les troupes commençaient, sous la direction du génie, la démolition du camp de la Tafna, condamné par le ministère ; il suffisait que l’îlot de Rachgoun fût occupé dans ces parages.

Le 25 mai, le général Bugeaud écrivait au général de Damrémont : « Nulle part dans mes instructions il n’est dit que vous devez sanctionner la paix que je ferai et que, selon l’expression de votre lettre du 14, je ne dois que préparer le traité. Si le gouvernement vous dit autrement, si vous avez des pouvoirs qu’on m’a tenus cachés, les quiproquos, les inconvéniens qui sont survenus ne sont ni de votre faute ni de la mienne. Ils sont du fait du gouvernement, qui n’a pas établi d’une manière nette et bien tranchée la séparation des pouvoirs. Que la faute soit rejetée sur ceux à qui elle appartient! » Quatre jours après, le 29, autre dépêche plus importante et décisive : « Je ne crois pouvoir mieux faire, pour vous faire connaître la grande détermination que je viens de prendre, que de vous communiquer la lettre que j’écris à M. le ministre des affaires étrangères, en lui soumettant le traité que j’ai conclu aujourd’hui avec Abd-el-Kader. Je n’ajouterai rien à cette lettre ; elle vous fera suffisamment comprendre mes motifs et mes vues: je désire