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contre les Arabes une proclamation terrifiante, pleine de menaces ; mais avant de les mettre à exécution, il entama, par l’entremise de Ben-Durand l’aîné, des négociations avec Abd-el-Kader. Les pourparlers allaient leur train, quand tout à coup l’émir se déroba; on apprit qu’il avait passé le Chélif et qu’il avait poussé jusqu’à Médéa : nouvelle encore plus grave, des ouvertures de paix lui auraient été faites par le général de Damrémont. Là-dessus le général Bugeaud prit feu ; il voulut voir dans cette diversion un tour que lui jouait le gouverneur. Il y eut entre eux un échange de lettres très vives. On sut, mais beaucoup plus tard, que l’auteur de cet imbroglio était Ben-Durand, qui ne se faisait pas faute de pêcher en eau trouble, prenant l’argent d’Abd-el-Kader pour diviser et corrompre les khalifas français, disait-il, et l’argent des khalifas français pour corrompre, disait-il encore, les conseillers de l’émir. Les plaintes réciproques et les récriminations des deux généraux mirent dans un grand embarras le ministère, qui se trouvait entre eux comme don Juan entre Charlotte et Mathurine; enfin il décida que la conduite des négociations devait être laissée au général Bugeaud, sauf approbation du gouverneur. Sur ces entrefaites, Abd-el-Kader, de retour à Mascara, envoya Ben-Arach, le principal de ses conseillers, avec mission de lui amener d’Oran les négociateurs français Ben-Durand et le lieutenant Allegro, officier d’ordonnance du général. La paix semblait déjà faite, quand, le 7 mai, le lieutenant revint, annonçant que tout était rompu ; les prétentions d’Abd-el-Kader étaient inadmissibles. Aussitôt les troupes se préparèrent à entrer en campagne.

Par des renforts envoyés de France, l’effectif général dans les trois provinces avait été porté de trente et un mille à quarante-trois mille hommes ; c’était à peu près le chiffre que le général Bugeaud avait déclaré nécessaire, au grand scandale de la chambre. La division d’Oran, pour sa part, avait reçu le 1er régiment de ligne et le 3e bataillon d’Afrique. Ces deux corps formèrent la 1re brigade du corps expéditionnaire, sous le général de Leydet ; la 2e, sous le général Bullière, comprenait les 23e et 24e de ligne ; la 3e sous le colonel Combe, les 47e et 62e. Le paquetage de l’infanterie était réduit au strict nécessaire, le sabre-briquet laissé en magasin, la cartouchière substituée à la giberne. La cavalerie se composait du 2e régiment de chasseurs d’Afrique, de deux escadrons de spahis réguliers, des Douair et des Sméla; l’artillerie de deux batteries de montagne. L’effectif était de sept ou huit mille hommes; les garnisons d’Oran, d’Arzew et de Mostaganem en gardaient quatre ou cinq mille, sous le commandement du général de Brossard. Les transports de la colonne expéditionnaire étaient faits par cinq cent cinquante mulets arrivés de France et par trois cents chameaux.