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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

et, pour l’année 1885, s’est élevé au chiffre de 1,241, dont 1,143 hommes et 98 femmes. L’œuvre est ouverte ; elle reçoit indifféremment et avec une égale bienveillance les détenus qui sortent des prisons de la Seine et ceux qui arrivent des maisons centrales. Elle ne demande même pas le repentir, que toujours l’on peut feindre ; elle n’exige que la volonté de travailler et de se tenir en dehors du méfait. Les hommes de bien qui la dirigent : M. Bérenger, président ; M. Réveil La Fontaine, secrétaire-général, qui, dès le début, fut le collaborateur énergique de M. de Lamarque ; M. Sevin-Desplaces, trésorier, dont le zèle est infatigable et la conviction profonde, estiment qu’il n’est pas un condamné, si criminel qu’il soit, que l’on ne puisse, en certains cas, rendre à la vie régulière. À cet égard, leur expérience les rend affirmatifs, et, quoique les déceptions ne leur aient point été épargnées, ils ne se lassent ni de croire, ni d’espérer, ni de se dévouer. Certains faits qui, je le crains bien, ne sont qu’exceptionnels, leur donnent raison et prouvent qu’il suffit parfois d’un incident pour qu’une nature, que l’on estimait à jamais pervertie, soit modifiée et redressée pour toujours. Voici une histoire que l’on raconte volontiers et dont le héros achève de vieillir en paix :

En 1849, un certain H… purgeait, à la maison centrale de Gaillon, une condamnation à dix ans de réclusion. C’était, en langage de chiourme, un cheval de retour. Il avait débuté jeune dans le crime et ne s’était point arrêté. Il s’était résolument mis en hostilité contre les conventions sociales ; il n’était point le plus fort, avait été vaincu, et, malgré ses défaites successives, renouvelait le combat dès qu’il était rendu à la liberté. Condamné, la première fois, pour banqueroute frauduleuse, il avait subi la marque, supplice barbare emprunté au moyen âge et qui ne disparut de nos codes qu’après la révolution de 1848. Il portait donc sur l’épaule le T. F. indélébile qui avait remplacé la fleur de lis d’autrefois. Lorsqu’il eut fini son temps et que le bagne de Brest le lâcha avec le passeport jaune, il retourna au crime et subit je ne sais combien de condamnations. À Gaillon, il était respecté par ses codétenus, qui admiraient sa persistance dans le mal et le redoutaient. Ses notes étaient déplorables : « Très dangereux, capable de tout. » Capable de tout, en effet, il n’allait point tarder à le prouver. À cette époque, M. Jaillant, qui fut directeur-général de l’administration pénitentiaire en France, était directeur-adjoint de la maison centrale de Gaillon. Un jour qu’il passait dans les ateliers, un réclusionnaire, qui lui en voulait ou qui trouvait simplement le régime de la prison désagréable, se précipita sur lui, armé d’une alêne de bourrelier : le coup eût été mortel. H… vit le mouvement du détenu, d’un bond instinctif se plaça devant M. Jaillant et voulut désarmer