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qui leur apparaissait comme une entrave à leur liberté et, disons le mot, comme un espionnage organisé. On fut très surpris de constater que tant de dévoûment et d’efforts se brisaient contre un préjugé enraciné ; le système des visites fut délaissé ; on résolut d’abandonner les détenus à eux-mêmes, de les livrer à leurs propres réflexions, qui, sans doute, les pousseraient à faire spontanément ce que l’insistance et les bons conseils n’avaient pu obtenir. Cette fois, on ne se trompa point, et l’on reconnut qu’en cette matière, comme en tant d’autres, il est sage de laisser toute spontanéité à l’initiative individuelle. On s’aperçut, en outre, que pour un libéré, c’est-à-dire pour l’homme qui vient de vivre sous la réglementation poussée à outrance, le premier besoin est de se soustraire à la réglementation. Lorsque, pendant des mois ou des années, on n’a pas fait un acte qui n’ait été prévu, indiqué, prescrit, on veut à tout prix reconquérir la direction de soi-même et n’y renoncer qu’en vertu d’une résolution personnelle.

Aujourd’hui, nulle pression n’est donc plus exercée sur le condamné pendant qu’il subit sa peine ; on n’ira pas le chercher dans sa prison, mais on l’accueillera favorablement s’il se présente au patronage et y demande appui. On se contente de lui dire qu’il existe à Paris une société secourable, une société de sauvetage moral qui ne désespère point des coupables, et remplit auprès d’eux une sorte d’office paternel où l’on peut rencontrer le salut et même mériter la réhabilitation. Ce sont les surveillans, et bien souvent le directeur de la maison pénitentiaire, qui fournissent les indications, sans insister, presque comme un conseil donné entre camarades : « Moi, à ta place, j’en essaierais ! » Seul, perdu dans le silence, astreint à un travail de hasard où il est malhabile, le détenu rêvasse ; il se rappelle l’arrestation, les alternatives de crainte et d’espoir de la prévention, l’interrogatoire dont il s’était promis de triompher et qui a triomphé de lui, les juges en présence desquels il s’est enchevêtré dans ses mensonges, la condamnation, le panier à salade qui l’a secoué sur les pavés de la ville, qu’il entendait sans la voir, la formalité de l’écrou, l’étroite cellule si bien close et la morne solitude où il doit vivre pendant un nombre de jours qu’il calcule sans cesse : comme le temps est lourd, comme il dure et combien sont lentes les heures ! Faudra-t-il donc traverser encore tant d’angoisses ? Comment vivre au jour de la libération ? Si cependant ce que l’on dit de cette Société de patronage était vrai ? Le surveillant a peut-être raison ; ça ne coûte rien d’essayer ; allons, au petit bonheur, on essaiera.

On n’a eu qu’à se louer d’avoir adopté la mesure qui supprimait l’intermédiaire entre les détenus et le patronage ; le recrutement, qui était devenu presque nul, s’est accru dans de notables proportions,