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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

amélioration qui pourra persister et devenir définitive si la volonté échappe à ses défaillances habituelles. L’heure est rapide, il faut se hâter de la saisir. C’est très délicat ; il n’est point facile d’agir sur ces âmes soupçonneuses, aigries, dont la défiance semble le principal élément. On ne saurait mettre trop de précaution dans le maniement de ces êtres, qui ne s’expliquent point le dévoûment abstrait et cherchent à comprendre dans quelle intention on essaie de les ramener, sinon au bien, du moins à la possibilité de vivre sans faire le mal. Pour les convaincre, pour les engager même seulement à tenter un essai, il faut beaucoup d’habileté, de la franchise, peu de morale, paraître ajouter foi à leurs récits, ne point solliciter des aveux, faire valoir leur intérêt matériel, et leur démontrer que la grand’route, sans étapes de tribunaux et de prison, conduit au bien-être avec plus de sûreté que le chemin de traverse où sont les fondrières et parfois les précipices. Là où la sévérité et la raideur du maintien échoueront, la bonhomie et une sorte d’indifférence philosophique seront presque certaines de réussir. Je crois que l’on n’en doute point au patronage des libérés, car on a fait à cet égard une expérience qui a servi d’enseignement.

Dès le début, à cette heure où toute œuvre nouvelle tâtonne, on pratiquait avec ferveur la visite des prisonniers ; au lieu de les attendre, on les allait chercher, et c’est dans les cellules mêmes de la détention qu’on leur montrait en perspective la protection qui s’étendrait sur eux lorsqu’ils seraient libérés. On avait cru que les hommes qui, par devoir professionnel, sont en rapports constans avec les coupables, seraient aptes, entre tous, à faire naître la volonté de l’amendement, et l’on avait réclamé le concours de jeunes magistrats, de jeunes avocats pleins de zèle que tentait la grandeur de la tâche dont ils se chargeaient bénévolement. En apparence, c’était raisonner juste, nul autre choix meilleur ne pouvait être indiqué, et l’on s’attendait à un résultat excellent : le résultat fut négatif. La source de recrutement fut tarie, et peu s’en fallut que la Société de patronage ne fût obligée de fermer ses portes, parce que personne n’y venait plus frapper. Dans le magistrat, dans l’avocat, visiteur volontaire et au besoin bienfaiteur, les détenus se refusèrent à voir l’homme, ils ne voulurent reconnaître que le fonctionnaire relevant de la justice. Dès lors, ils s’imaginèrent que l’on abuserait de leurs confidences, que l’on retournerait contre eux toute parole imprudente qui leur échapperait, et que le patronage qu’on leur offrait cachait une sorte d’ingérence de la police, à l’aide de laquelle on établirait contre eux une surveillance déguisée. Ils se tinrent sur la réserve et, tout en faisant de belles promesses aux gens de bien qui les sollicitaient à la vie régulière, ils se dissimulèrent à la sortie de prison et échappèrent à une protection