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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

pas prévu les conséquences. Il entama résolument la lutte du travail, et, je le dis à la louange de ce monde parisien trop souvent calomnié, chacun s’empressa de l’y aider. Personne ne souleva le nom sous lequel il dissimulait son nom véritable, que nul n’ignorait. Jamais on n’eut l’apparence d’une action même douteuse à lui reprocher. Très répandu, très recherché même, affable, obligeant et courtois, il s’était créé mieux que des relations, il avait des amis ; avec lui. la sécurité était parfaite ; il eut son heure de notoriété et, lorsqu’il obtint des succès, on ne lui ménagea pas les applaudissemens. Quand il mourut, encore jeune, on parla beaucoup de lui ; aucune allusion pénible ne fut faite à son passé ; le respect que son effort et sa rectitude avaient inspiré lui survécut.

Les deux hommes dont je viens de parler sont dignes de tout éloge ; plonger dans le cloaque pénitentiaire, en sortir et n’en garder aucune scorie, c’est faire acte de vertu. Jamais je n’ai rencontré l’un ou l’autre, sans me rappeler la parole de saint Luc : « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui s’amende que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance. » Ces « deux pécheurs » sont des exceptions, moins peut-être par l’énergie qu’ils ont déployée pour ne plus retourner à la faute, que parce que le groupe dans lequel ils vivaient ne les a pas, à force d’avanies et de mépris, rejetés dans les bas-fonds où l’on achève de se décomposer. Pour eux, dans leur intérêt, en faveur de la correction de leur attitude, on a fait taire les préjugés et détruit les suspicions. C’est là un acte exceptionnel et qu’il fallait signaler, mais qui n’a été et ne pouvait être justifié que par une conduite irréprochable. La réserve qu’inspire le libéré, l’éloignement dont il est l’objet n’ont rien qui doive surprendre, car c’est le produit de l’expérience ; l’on a été si souvent trompé que la méfiance reste invincible. Comment en pourrait-il être autrement ? Le régime des prisons achève l’œuvre des mauvaises passions, rend chronique le mal sporadique, qui ne tarde pas à devenir incurable. On sait le mot populaire : « Il est si malade que les médecins l’ont abandonné. » On peut l’appliquer à bien des détenus dont l’écrou vient d’être levé : malade par lui-même, malade par les difficultés qui le guettent, malade par le vide dans lequel il va entrer. Il se sent traité en paria par la société qu’il traite en adversaire ; il rend coup pour coup et succombe, car la masse finit par se refermer sur lui. Ceci on peut le constater ; la statistique criminelle est un document moral de premier ordre ; elle enregistre les effets et fournit ainsi le moyen de déterminer les causes. La quantité des récidivistes augmente dans des proportions redoutables, et n’est pas éloignée de 50 pour 100. Sous l’empire de certaines circonstances, le péril a éclaté avec violence et a troublé les cœurs. Quel remède à cette