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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.


I. — LES CONDAMNES.

À l’heure où fut conçue l’idée de venir en aide aux libérés, le projet de la loi de relégation n’était même pas formulé, et l’on sentait, surtout après les désastres dont le pays avait été frappé, qu’il y aurait imprudence à demander au gouvernement de prendre en main la cause des criminels, lorsque tant de victimes de la guerre et de la commune supportaient un état misérable qu’il était presque impossible de soulager. L’initiative individuelle pouvait seule assumer une tâche que les pouvoirs publics devaient répudier. C’est ce qui se produisit. Par une contradiction qui n’est qu’apparente, l’impulsion première partit du ministère de l’intérieur. M. de Lamarque était chef du premier bureau à la direction des prisons et des établissemens pénitentiaires. Nul mieux que lui n’avait pu, par fonction, se rendre compte de la quantité de récidivistes qui avaient endossé l’uniforme de garde national, avaient troublé Paris pendant la période d’investissement et s’étaient dressés contre la civilisation même, au cours des néfastes journées qui vont du 18 mars au 28 mai 1871. Il poussa un cri d’alarme[1]. Ses attributions lui permettaient de mesurer l’étendue et la profondeur du péri ! ; comment y porter remède ? Chez lui, le fonctionnaire se doublait d’un homme de bien, philanthrope dans le sens élevé du mot, peu sujet aux illusions, mais animé d’une volonté persistante et qui s’appuyait sur une longue pratique des malfaiteurs dont il aspirait à neutraliser les mauvais instincts. Il se demanda si la société faisait tout son devoir en punissant, si elle n’aurait point intérêt à mettre le libéré à même de vivre de son travail, tout en prenant contre lui les précautions que justifiaient de coupables antécédens. Cette tâche de préservation sociale et de relèvement individuel, l’état ne pouvait l’entreprendre, mais elle pouvait tenter l’émulation de quelques âmes à la fois charitables et prévoyantes qui comprendraient qu’empêcher un malheureux de retomber dans le crime, c’est lui rendre service, et c’est en même temps supprimer un élément de perturbation dont la collectivité peut avoir à souffrir. Il se mit à l’œuvre et fit, pour les prisonniers adultes, ce que déjà l’on avait fait en faveur des jeunes détenus : il créa une société de patronage. Il ne se limita pas et ne repoussa personne ; il accueillit non-seulement les détenus correctionnels, mais les réclusionnaires, les forçats, les récidivistes ; à chacun il ne demanda que le ferme vouloir de rentrer dans la vie normale par le travail et la bonne

  1. La Société moderne et les repris de justice, par M. J. de Lamarque. Paris, 1875 ; Dentu. — Brochure de 43 pages.