Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus que toute autre puissance, a eu certainement sa place et son action. Elle n’a point procédé par des démonstrations et des interventions directes qui n’auraient été sans doute qu’un trouble de plus ; elle a eu son rôle, et un rôle décisif par son attitude, par le poids de sa puissance et de ses forces, par le soin habile qu’elle a mis à réserver la liberté de ses résolutions, à garder ce qu’on pourrait appeler la disponibilité de sa politique. Engagée en Orient et en Occident, elle a su éviter de se laisser entraîner par des incidens, se défendre des solidarités compromettantes, subordonner des intérêts secondaires à l’intérêt supérieur de l’Europe, résister peut-être à des sollicitations, et elle a sûrement contribué ainsi à maintenir la paix. Sans rien dire, par la promptitude avec laquelle elle s’est dégagée momentanément des complications orientales, du gâchis bulgare, elle a eu l’art de se faire la position d’un arbitre avec lequel auraient à compter ceux qui seraient tentés de déchaîner la guerre en Europe. On l’a bien senti en Allemagne, et les polémistes de Berlin, si fort occupés depuis quelque temps avec l’ennemi de l’ouest, se sont hâtés de tourner leurs regards soupçonneux du côté du nord : ils n’ont fait que relever par leur mauvaise humeur la portée de la politique d’indépendance adoptée à Saint-Pétersbourg. Par une curieuse et saisissante coïncidence, cependant, c’est au moment où la Russie se créait cette forte situation par sa diplomatie, c’est à ce moment que le tsar a été exposé à un nouvel attentat médité et préparé contre lui dans les conciliabules secrets du nihilisme. Peu s’en est fallu que l’anniversaire de la fin tragique d’Alexandre II ne fût marqué par un nouveau drame sanglant à Saint-Pétersbourg. L’empereur Alexandre lII et l’impératrice devaient se rendre pour la commémoration funèbre à la cathédrale, puis partir pour Gatchina, et c’est sur la route que les meurtriers les attendaient avec leurs éternels engins explosifs; fort heureusement le complot a été découvert à la dernière heure, et les conspirateurs ont pu être arrêtés au moment où ils étaient tout prêts à accomplir leur crime. Ce sont, à ce qu’il semble, quelques étudians de l’université de Saint-Pétersbourg, de malheureux jeunes gens enrôlés, fanatisés et armés par les comités révolutionnaires. Le tsar, paraît-il, a été sauvé presque sans le savoir; il n’aurait su qu’après l’arrestation des conjurés qu’il venait d’échapper au plus grand des périls.

On croyait depuis quelque temps, ou du moins on affectait de croire, à un certain apaisement des factions révolutionnaires, au découragement des nihilistes. Il n’en était évidemment rien; les conspirateurs ne désarment pas, l’esprit de meurtre vit toujours dans les affiliations secrètes du nihilisme, et on dit même que le dernier complot de Saint-Pétersbourg aurait des ramifications dans les provinces, à Kharkof et ailleurs. Y a-t-il eu, comme on l’a dit d’abord, à côté du complot meurtrier, quelque conspiration d’un autre genre, d’un caractère tout différent,