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reviendra sans doute un jour ou l’autre, et avant peu, aux projets financiers et économiques qui sont le complément de son système, pour lesquels il a si souvent combattu. Il achève, en attendant, sans aucun embarras, son évolution dans les affaires religieuses; il fait, de propos très délibéré, son voyage de Canossa par la nouvelle loi ecclésiastique qu’il est allé tout récemment défendre lui-même de sa parole devant la chambre des seigneurs de Prusse. Le terrible chancelier a parfois d’étranges manières de parler de la paix avec les autres nations et surtout de la défendre; il veut du moins la paix religieuse, et, une fois décidé, il va résolument à son but, sans s’inquiéter de ce qu’on dira. Ce qu’il y a de caractéristique, en effet, c’est qu’avec lui on perd son temps à le mettre en contradiction, à l’accuser de trahir des principes, d’abandonner des lois qui sont l’œuvre des premières années de l’empire restauré : il répondra nettement, sans façon, qu’il n’est ni un homme de parti, ni un homme de théories et de principes, qu’il est tout simplement un homme faisant de la politique en politique, marchant avec les événemens, — qu’il est un « opportuniste ! » Il ne fait aucune difficulté d’avouer qu’il a changé d’opinion parce que, depuis l’époque du Kulturkampf, tout a changé autour de lui ; parce qu’un nouveau pape, à l’esprit plein de modération et de prudence, est entré au Vatican; parce que les lois de persécution religieuse n’ont d’ailleurs servi à rien, si ce n’est à donner un drapeau et des armes au centre catholique, dont il est souvent fort embarrassé. L’essentiel pour lui est de rétablir la paix religieuse dans l’état, et comme il a trouvé le plus éclairé, le plus généreux des complices dans le pontife romain, il n’hésite pas à faire toutes les concessions nécessaires. Il déclare tout net qu’il ne tient pas du tout à poursuivre des prêtres, qu’il se délie moins des séminaires que des universités, qu’il n’a même pas de scrupules à l’égard des ordres religieux, — que tout cela lui est égal, pourvu qu’il ait la paix avec Rome, la paix entre l’empereur et le pape. Et maintenant cette paix sera-t-elle durable? Il n’en sait rien; il sait seulement qu’elle est nécessaire, utile, désirable, et, dans sa puissance, il donne à tous les politiques cette grande leçon d’avouer que la paix morale vaut bien quelques sacrifices d’opinion, parce qu’elle est la plus bienfaisante des garanties, la première condition de force pour une nation. Il ne l’a pas dit seulement, il a prouvé qu’il était homme à mener de front les calculs de sa diplomatie, l’augmentation de l’armée et la réconciliation avec l’église. Cet homme étonnant, qui a manqué de respect à tant de choses dans sa vie, trouve qu’il est bon, qu’il est prévoyant de respecter les croyances des populations catholiques de son pays !

Que se passe-t-il d’un autre côté en Russie ? Dans cette partie mystérieuse qui s’est jouée il y a quelques semaines en Europe et où se trouvaient engagés tous les intérêts, toutes les politiques, la Russie,