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pourrait dire, qui oserait dire qu’il se désintéresse de Molière ou de La Fontaine? et ainsi l’Histoire littéraire, rédigée, comme elle l’est, par une commission, profiterait, par surcroît, des opinions motivées de la Compagnie tout entière. Qu’y aurait-il de plus conforme à l’esprit de son institution? Quel meilleur service pourrait-elle rendre aux lettres? ou quel plus sûr moyen trouverait-elle de perfectionner son Dictionnaire lui-même de l’usage? « Les meilleurs auteurs de la langue française, dit l’article 25 des Statuts, sont distribués aux académiciens pour observer tant les dictions que les phrases qui peuvent servir de règles générales; » mais, de plus, et maintenant qu’ils sont, comme l’on dit, « entrés dans la postérité, » l’Académie nous donnerait, avec l’histoire, son jugement aussi sur nos « meilleurs auteurs. » Et peut-être enfin par là, selon le vœu de Sainte-Beuve et de beaucoup d’autres, « se maintiendrait-elle en communication régulière avec l’air du dehors, » sans renoncer aux traditions qui sont sa force et sa raison d’être. Car, quelles contradictions ne soulèveraient pas ses jugemens, — si par exemple elle nous disait ce qu’elle pense du moliérisme, — et plus intéressantes, à coup sûr, que la discussion de ses choix, où les questions de personnes sont trop mêlées, et surtout depuis quelque temps, pour que l’on ait le courage d’y intervenir?

Nous n’avons eu d’autre objet, en faisant cette proposition, et en essayant d’y intéresser l’opinion, dont les Académies relèvent, que l’intérêt même des lettres, ou peut-être aussi celui des Académies elles-mêmes. Si cependant elle était repoussée, comme nous avons lieu de le craindre, et sans avoir été discutée seulement; si les raisons dont nous l’avons appuyée paraissaient également faibles à l’Académie des Inscriptions et à l’Académie française, comme il est vraisemblable; et, comme il est certain, si, trop habituées qu’elles sont l’une et l’autre à ne voir uniquement discuter que leurs choix, elles nous trouvaient l’une et l’autre indiscret et fâcheux, nous n’aurions plus alors qu’un souhait à former. Ce serait, avant de mourir, de voir le Dictionnaire de la langue française passer la lettre B. Et ne pensez pas que ce souhait fût si modeste, car, si les dieux l’exauçaient, je me tiendrais assuré de mourir au moins nonagénaire.


F. BRUNETIERE.