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je n’ai jamais joui d’autant de liberté. Comment en serait-il autrement, quand nos tyrans sont tous enfermés ? »

On se livrait encore à d’autres plaisirs ; on faisait des paris sur l’élection, comme aujourd’hui sur les courses de chevaux ; les chances des prétendans étaient publiquement cotées. Plus tard, la loterie remplaça les paris. M. Cartwright raconte que les pères conscrits eux-mêmes, pendant le conclave, trouvaient moyen de satisfaire leur passion pour le jeu en employant les numéros qui leur étaient révélés par une inspiration divine, par les opérations mystiques du Saint-Esprit. « Après avoir assisté à l’entrée de deux ou trois dîners, écrivait Stendhal dans ses Promenades dans Rome, au moment où, suffisamment édifiés, nous allions nous retirer, nous vîmes venir par le tour, de l’intérieur du conclave, un billet sur lequel étaient tracés les numéros 17 et 25, avec prière de les mettre à la loterie… Ces nombres pouvaient signifier qu’au vote du matin, le cardinal occupant la loge numéro 25 avait eu 17 voix… Les numéros furent fidèlement remis à un domestique du cardinal P… »

Pendant le conclave de 1878, on ne vit dans les rues ni pertuisanes, ni piques, ni arquebuses. Quelque intérêt que la population portât à l’événement, il n’y eut point de rixes, point d’attroupemens, point d’émeutes. Le Vatican n’eut pas de blocus à soutenir, le sacré-collège ne fut menacé ni violenté par personne. On assure aussi que leurs éminences, absorbées dans leurs saintes occupations, ne s’avisèrent point de mettre à la loterie, qu’elles ne fournirent aucune matière à la médisance inventive des conclavistes. On peut douter que nous valions mieux que nos pères, mais nous sommes plus décens, nous sauvons les apparences. Cependant, au milieu des plus graves affaires, on a toujours une arrière-pensée pour ce qu’on aime. Il existe en Italie un livre de la loterie qui donne l’explication des songes, et les gens qui rêvent ont coutume de le consulter avant de choisir leur numéro et de faire leur mise. Lorsqu’au lendemain de la mort de Pie IX, les cardinaux présens à Rome s’assemblèrent pour la première fois dans la salle du consistoire, il s’éleva une contestation sur leur nombre. On compta, on vérifia, et le cardinal Ferrieri dit gaîment : « Je suis content que nous soyons 37 et non 39, parce que 39, dans le livre de la loterie, veut dire pendu. »

Le conclave de Léon XIII fut un des plus courts, des plus expéditifs dont on se souvienne ; on en connaît qui ont duré des années. Quand le sacré-collège eut à donner un successeur à Clément IV, mort à Viterbe le 29 novembre 1268, les cardinaux, ne pouvant s’entendre, siégèrent pendant deux ans et neuf mois, jusqu’à ce que l’éloquence de saint Bonaventure fit le miracle de les accorder. Il fallut deux ans pour élire Célestin V, plus de trois mois pour faire monter sur le trône pontifical