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au bout d’un moment. — « Il n’est pas temps encore. » Enfin, on lui ôte son haillon. — Attends que j’aie fini de prier et surtout ne frappe que quand je te le dirai. « On ne lui obéit pas ; on ne veut pas lui accorder la suprême satisfaction de commander le coup qui doit lui donner la mort. La hache s’abat et porte à faux... Un bourreau saisit la tête, un autre les jambes tremblotantes, un troisième scie le cou. On lui arrache enfin la tête...

À ce moment, un enfant de quatorze ans accourait, désespéré, sur la place, « pour embrasser un père sur l’échafaud, pour lui faire entendre la voix d’un fils parmi les cris des bourreaux. » Cet enfant, qui arrivait trop tard, c’était Gérard Trophyme, le fils légitimé de Lally, à qui l’infortuné avait légué sa mémoire et son innocence. L’enfant devait, après vingt ans d’efforts et d’éloquence, obtenir la révision du procès de son père.

Cependant Paris battait des mains « devant le grand acte de justice.» Le cadavre de Lally lui semblait un trophée pour la vanité de ses passions les plus basses, et Mm Du Deff and écrivait à Walpoole : «Lally est mort comme un enragé... on avait peur qu’il avalât sa langue, on lui mit un bâillon... On a été content de tout ce qui a rendu le supplice plus ignominieux, du tombereau, des menottes, du bâillon : ce dernier a rassuré le confesseur qui craignait d’être mordu... Lally était un grand fripon et de plus il était fort désagréable!.. » Cette abominable lettre fut l’oraison funèbre de Lally. — Cette exécution en place de Grève d’un vieux soldat, c’était un assassinat avec des formes légales. Lally n’était pas un traître.

« Trahissait-il son roi[1], lorsque devant Saint-David, il piochait la terre, creusait la tranchée, tirait des chariots? Trahissait-il son roi, lorsque pendant ce même siège, il volait à Pondichéry, rayait de son argent les matelots qui refusaient de servir et forçait l’escadre à reprendre la mer? Trahissait-il son roi, lorsqu’il courait attaquer Madras, lorsqu’il avançait 60,000 roupies pour les frais de cette expédition?

« Trahissait-il son roi, lorsqu’avec son argent, il ramenait sous ses drapeaux une armée entière révoltée, à qui l’administration de Pondichéry devait dix mois de solde? Trahissait-il son roi, lorsque, toujours avec son argent, il remplissait les magasins de la colonie, lorsque, n’ayant plus d’argent, il sacrifiait ses effets, sa vaisselle, sa montre, pour procurer à cette colonie quelques mesures de riz de plus dans l’attente de l’escadre? Trahissait-il son roi, lorsque,

  1. Discours du fils de Lally-Tollendal dans l’interrogatoire au parquet de Dijon, 13 août 1781.