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de mathématiques. A la Conciergerie, une tourbe de geôliers entoure le condamné ; on le fouille, on le dépouille de ses bijoux, on va jusqu’à lui arracher les boucles de ses souliers et de ses jarretières. Le 9, au malin, on le réveille, on lui annonce qu’il est temps de descendre à la chapelle. Il est debout. Un geôlier le culbute d’un coup de genou dans le ventre et lui prend sa montre. Lally reste impassible sous l’outrage.

Arrivé à la chapelle, il aperçoit dans la pénombre des greffiers, des gardes, et dans la pleine lumière de la voûte sept bourreaux et un confesseur. Brusquement, on lui ordonne de se mettre à genoux. Il laisse flotter un regard triste et ne prononce que ces trois mots : « A genoux, mon arrêt, un confesseur! » Le greffier lit d’une voix tremblante le jugement. Il arrive à ces mots : « Convaincu d’avoir trahi les intérêts du roi. » Lally se redresse et s’écrie d’une voix vibrante : « Cela n’est pas vrai, je n’ai jamais trahi les intérêts du roi ! »

Un bourreau s’approche. Lally le contemple, silencieux d’abord, puis tout à coup : « Sur quelles têtes frappe donc la foudre, demande-t-il, si elles épargnent celles des assassins?» Il semble calme. Dominés par la grandeur de l’attitude, les greffiers et les gardes lui laissent un moment de liberté... D’un geste brusque, il tire un compas de sa poche et, les yeux levés vers le ciel, se frappe dans la région du cœur. Il chancelle, on se précipite sur lui. Il est debout... la pointe du compas a rencontré une côte, le coup a dévié. Il secoue la tête d’un air égaré et ne prononce que ces mots : « Ce n’est pas ainsi que Dieu veut que je périsse. » Dès Iors il s’abandonne à ses bourreaux.

On lui annonce les commissaires au procès. Il fait un geste de refus : « Dites à ces messieurs qu’ils se retirent. Je dois et veux les croire honnêtes, mais un honnête homme peut se tromper... il est triste que j’en sois la victime. »

Enfin le bourreau s’approche, tenant dans la main un bâillon. Lally a un frémissement; il le domine et se soumet. Un dernier affront l’attendait. Il avait le droit d’être conduit au supplice dans son carrosse drapé de deuil ; il trouve à la porte le tombereau réservé aux assassins! Il proteste contre l’injure. On le pousse sur la charrette...

Il arrive enfin à la place de Grève, au pied de l’échafaud. Il promène un regard tranquille sur la foule qui hurle, heureuse de contempler l’alléchant spectacle d’un grand seigneur qu’on va décapiter. Il murmure de sa voix enchaînée : « Je meurs innocent! » Et se retournant vers le bourreau : « Ote-moi ces liens. J’ai assez vu la mort de près pour qu’on me coupe la tête sans m’attacher les mains. » Le bourreau reprend : « Monsieur, c’est l’usage. » — « En ce cas, faites. » On lui bande les yeux. — « Qu’attend-on? » demande-t-il