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dans aucune action du général quoi que ce soit de préjudiciable au service du roi et de l’état, et qu’il ne peut que répéter la déposition faite par lui lors de la première instruction par le Châtelet.

Je suis, dit-il, parti de l’Orient avec M. de Lally et je suis arrivé dans l’Inde avec lui. Je n’étais plus dans l’Inde lors de la prise de Pondichéry ; je l’avais quittée en mars 1760. Pendant tout mon séjour, je n’ai rien remarqué dans la conduite de M. de Lally qui ait paru contraire à ses devoirs. Je lui ai reconnu beaucoup de zèle et d’activité. Je l’ai vu partager les peines et les dangers de la colonie, et je n’ai remarqué en lui qu’un caractère peut-être un peu trop dur, qui lui aura attiré des ennemis.

« Quant aux abus d’autorité qu’on lui impute, je ne peux rien avancer à cet égard, car il faudrait que j’eusse connaissance de l’étendue des pouvoirs donnés à M. de Lally, pour pouvoir décider s’il en a abusé. Je n’ai aucune connaissance des prétendues malversations, concussions et déprédations reprochées à l’accusé.

« Si l’événement a été quelquefois contraire au bien du service du roi, les vues de M. de Lally n’en ont pas été moins droites, et Lally a éprouvé des malheurs comme des succès.

« Je suis enfin bien éloigné de croire que l’on puisse justement accuser M. de Lally de haute trahison par la connaissance que j’ai de la conduite de M. de Lally, de son caractère, de sa façon de penser. J’estime, au contraire, que de pareils soupçons sont très mal fondés. Au surplus, je ne puis m’expliquer autrement sur les délits généraux énoncés en l’arrêt du parlement. Je déclare que, si l’on imputait à M. de Lally quelques crimes dans quelques circonstances particulières qu’on indiquât, et si l’on me requérait, je pourrais alors m’expliquer d’une manière plus circonstanciée sur le fait particulier ou autres qui seraient à ma connaissance ; mais qu’ignorant ce qu’on peut imputer en détail à M. de Lally, je n’ai autre chose à dire sur les délits vaguement énoncés dans l’arrêt de la cour. Qu’enfin c’est tout ce que je sais. »

Le commissaire, ayant ouï Grillon, se tourne vers son greffier et lui dit : « Écrivez que monsieur n’a aucune connaissance de l’affaire du sieur de Lally. » Grillon proteste vivement : « Ce n’est là, s’écrie-t-il, ni le texte ni le sens de mes paroles. Je n’ai pas dit un mot de cela. » Le commissaire ne se démonte pas et répète au greffier : « Écrivez que monsieur n’a aucune connaissance de l’affaire du sieur de Lally. » L’impudence du commissaire irrite Crillon, qui se lève sur pied et, de l’air le plus haut, du ton le plus ferme, regardant en face le magistrat : « Monsieur, dit-il, ou j’ai le malheur de ne pas parler le français, ou vous avez celui de ne pas l’entendre. Je vous répète, pour la troisième fois, que je ne puis rien ajouter à ma déposition, parce qu’on ne m’a pas donné connaissance des faits