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Le souverain avait dit : « On examinera les actes de tous ceux qui ont été mêlés aux affaires de l’Inde. » Le parlement répliqua qu’il « était indispensable de distinguer d’abord en ce qui concernait Lally, afin d’éviter la confusion entre les crimes de ce dernier et ceux reprochés à des coupables encore inconnus. » Ainsi Lally était déjà considéré comme un coupable !

Mais il ne suffisait pas de formuler la prétention de juger sur l’affaire de Lally, il fallait amener le roi à l’admettre. Le moyen fut vite trouvé. Il n’y a, dirent les légistes les plus habiles dans l’art des condamnations, qu’à faire commencer, en s’appuyant sur les lettres patentes du 12 janvier 1763, une information par le Châtelet. L’instruction réunira, grâce aux témoignages, une base de présomptions assez forte pour que le parlement retienne le procès. On prendra ainsi le roi et l’inculpé dans un sorte d’engrenage.

Le calcul était juste. Bientôt, devant les interrogatoires et les dépositions recueillies par le lieutenant criminel, la couronne se vit forcée de rendre, le 1er avril 1764, de nouvelles lettres patentes pour investir le parlement du débat.

Dès lors, on mène l’affaire tambour battant. Le 9 avril, le procureur-général rend une nouvelle plainte volumineuse. Le même jour, on décrète Lally de prise de corps. Décréter de prise de corps un homme en prison depuis dix-huit mois, c’était presque de la bouffonnerie, quoique l’ordonnance fût le produit d’une fiction légale. Le 30 avril, on commença l’information[1].

Elle fut à la fois odieuse et ridicule. On ne la fit point porter sur les causes originelles qui avaient amené l’écroulement de l’empire français dans l’Inde. Il eût été trop facile à Lally de se disculper en arguant de ses instructions. On ne souleva jamais la question de l’évacuation du Dékan. On ne chercha ni à établir le bilan des ressources dont Lally disposait à son arrivée, ni à comprendre la marche et l’enchaînement des faits. Au lieu d’élargir le débat, on le rétrécit. Le rapporteur, imbu du journal du père Lavaur, son credo, n’est dominé que par l’unique pensée d’établir la preuve de la trahison qu’il affirme, et, dans cette vue, au lieu de juger de l’ensemble des opérations, il ne se préoccupe que des détails. Avec une habileté extraordinaire, il les plie, les rogne, les arrange au gré de sa thèse. Il ne cite, n’écoute que les témoins qui lui donnent raison. Et naturellement ce sont les plus tarés, les plus vils par leur position ou leur caractère. Il prête une oreille attentive aux sottises que débite Michelard, le palefrenier de Lally, et injurie presque Crillon, lorsque celui-ci s’écrie qu’il n’a jamais eu connaissance des prétendues malversations de Lally, qu’il n’a jamais vu

  1. Procès de Lally. Archives nationales.