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de Paris, résolurent de prendre l’offensive. Le 3 août 1762, ils adressèrent au roi une requête formelle pour demander justice, vengeance des vexations, outrages, accusations de Lally, et supplièrent sa majesté de leur indiquer un tribunal. En même temps, ils dénoncèrent Lally au ministre par un mémoire dans lequel ils articulaient neuf chefs d’accusation. M. de Leyrit, l’ex-gouverneur de l’Inde, jusque-là en dehors de la cabale, prend parti pour les conseillers. Bussy enfin se joint à la troupe des accusateurs.

Bussy, revenu en mars 1761, n’avait point perdu de temps pour asseoir fortement son influence ; sa grosse fortune était venue en aide à son habileté ordinaire. Il s’était allié à la famille du duc de Choiseul, par son mariage avec une fille de cette maison, alors si puissante. Il était très bien en cour et avait pris de l’ascendant sur le ministre ; en tête-à-tête avec le duc, il s’était expliqué sur les causes qui avaient amené la capitulation de Pondichéry, blâmant Lally avec une modération de langage qui donnait au réquisitoire une portée redoutable. Quoiqu’il eût eu communication des lettres écrites de Pondichéry à Silhouette, à Godeheu, à Boullongne, où Lally le dénonçait comme le plus faux, le plus pillard, le plus funeste des hommes, où il allait jusqu’à dire: « De tous les grands criminels condamnés au supplice de la roue, il n’en est pas un dont les crimes approchent de ceux de Bussy, » il avait eu la force de dissimuler sa fureur et son ressentiment.

Il n’avait rien publié contre son rival. On savait qu’il avait en main une foule de lettres et de rapports de nature à éclairer les actes de Lally. On n’ignorait pas ses griefs ; il y faisait lui-même de fréquentes allusions, mais il gardait l’attitude réservée, expectante d’un homme dont la haine n’a pas désarmé et qui guette sa proie en calculant ses mouvemens pour la mieux saisir. Quand il apprit la requête des conseillers au roi, il s’écria que c’était l’occasion tant attendue, et il écrivit officiellement à la compagnie, le 30 août 1762 : « Messieurs, vous n’avez peut-être pas encore oublié le mémoire que j’ai eu l’honneur de vous adresser, pour vous prier de me communiquer les accusations que l’on a pu porter contre moi. Aussi certain de leur absurdité que de ma propre existence, je n’ai souhaité, je ne demande autre chose, sinon qu’elles me fussent communiquées, pour confondre le calomniateur qui se trouvait dans l’impossibilité de rien prouver de ce qu’il a osé avancer avec autant de noirceur que de témérité, parce que l’imposture la mieux réfléchie et la plus préparée ne peut pas prouver ce qui n’est pas. quand j’ai vu que l’on se refusait à une demande si juste et si naturelle, j’ai été forcé de croire que l’on ne jugeait pas à propos de me communiquer des accusations enfantées dans le délire d’un homme aveuglé par la passion... D’un autre côté, si ces accusations