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l’on finirait par perdre toutes les troupes que la compagnie y auroit. Il vous sera désormais d’autant plus facile de vaincre les préjugés sur ce dangereux système, qu’il y a lieu de présumer que le conseil supérieur de Pondichéry concourra à tout ce que vous pourrez projeter pour y réussir; vous ne pouvez mieux faire que de vous concerter avec lui et surtout avec Leyrit, qui paraît sentir le danger et les inconvéniens de maintenir une armée dans le pays de Golconde. L’objet de la compagnie doit être de se borner à des établissemens de commerce sur les côtes et à un territoire circonscrit autour de ces établissemens. »

Ainsi, l’expédition commandée par Lally, on l’avait envoyée non pas pour ramasser la couronne du grand Mogol et la placer sur la tête du roi de France, mais pour une affaire de boutique à protéger. Aux yeux du gouvernement, il n’y a pas de question de conquête, il n’y a qu’une question de trafic. Sa seule ambition, c’est de favoriser les opérations de la compagnie française, de lui assurer des gains par l’expulsion de la société anglaise, sa rivale, et Lally, qui reflète les tergiversations et l’ignorance du ministère, n’applique que trop fidèlement les instructions de Versailles. Son obéissance fut son vrai crime. Il est regrettable qu’il ait obéi. S’il eût jeté ses instructions à la mer, s’il eût repris la politique de Dupleix et de Bussy, ce n’est pas la reine d’Angleterre qui porterait le diadème d’impératrice des Indes ! Mais qui donc a le droit de reprocher à un soldat de conformer ses actes à sa consigne? Est-ce de sa faute si celle-ci conduit à la défaite? La responsabilité de la perte de l’Inde, encore une fois, c’est sur le ministère qu’elle retombe tout entière.

Mais ni Paris ni la France ne connaissaient la vérité. La politique de Versailles, personne n’en avait signalé les dangers ; nul ne pouvait. Comprendre l’aveuglement d’un gouvernement qui, presque en même temps, abandonnait Lally et Montcalm, ne leur envoyait même pas un bataillon. Aussi, lorsque la nouvelle de la perte des établissemens de l’Inde s’abattit sur Paris, encore sous le coup de l’émotion produite par l’annonce de nos revers au Canada, il y eut une explosion de colère. Le patriotisme se sentit humilié à la pensée que l’Angleterre nous enlevait du même coup nos deux plus belles colonies ; la France était presque le même jour chassée de l’Asie et de l’Amérique! Deux armées françaises capitulaient en même temps aux deux extrémités du monde ! L’orgueil national chercha à se consoler en trouvant des coupables. Et certes il y en avait! Mais lesquels? On voulut savoir. On rechercha avec avidité les lettres qui arrivaient de l’Inde. La passion y trouva un aliment à ses fureurs, car toutes émanaient du parti hostile au général.

Toutes accusaient Lally, toutes le représentaient comme un génie