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au militaire et à l’économie. » Frédéric usa d’adresse pour délivrer sa sœur, et les margraves repartirent pour Bayreuth dans des transports de joie, le 23 août 1733. Ils juraient qu’on ne les y reprendrait plus, mais ils juraient trop tard, comme il arrive d’ordinaire. La margrave ne se remit jamais et passa le reste de sa vie dans les langueurs et les souffrances.


VII.

Ils reconnurent, en arrivant à Bayreuth, combien leur retour était nécessaire. Le vieux margrave déclinait rapidement, le corps usé et l’esprit affaibli par le vin. Un pied dans la tombe, il se laissait bercer par une passion sénile pour la gouvernante de sa petite-fille, mettait tous les jours un habit neuf, se faisait coiffer pour paraître jeune, faisait le coquet et le galant. La margrave n’en crut pas ses yeux en trouvant son beau-père changé en dameret. « Il était tout le jour chez sa belle, raconte-t-elle, à laquelle il faisait des déclarations morales et se contentait de lui sucer les mains. » Il ne se contenta pas longtemps des baisemens de mains et offrit d’épouser. La margrave rompit le mariage la veille du jour où il allait être déclaré, en menaçant la fiancée de sa colère, mais l’amour des vieillards est tenace ; celui du vieux margrave croissait à mesure qu’il s’enfonçait dans le rêve sans réveil de la seconde enfance, et il était visible à tous les yeux que le visage avenant de la grosse Flore, la gouvernante, lui était chaque jour plus indispensable. L’ivrognerie coupa court au dénouement. Le vieux margrave mourut en 1735, au moment où il avait décidé la Flore à passer par-dessus les menaces de ses enfans et à l’épouser.

Les années qui suivirent furent intéressantes pour la principauté ; elles ne le seraient point pour le lecteur. La margrave restaura ses châteaux, renouvela ses meubles, donna des fêtes et Bayreuth changea de face; la noblesse perdit insensiblement ses airs grotesques, les traces de barbarie s’effacèrent, et le petit pays fut entraîné dans le mouvement de relèvement de l’Allemagne. Frédéric II a marqué ce mouvement en traits précis dans le tableau de l’Europe par où débute son Histoire de mon temps. La nation germanique, dit-il, était en proie au « goût gothique, » à l’ivrognerie et à la grossièreté, semblable en un mot à « un champ qu’on défriche nouvellement. » Le champ inculte redevint un « jardin. » — « Les richesses qui se sont augmentées par l’industrie et le commerce ont entraîné à leur suite les plaisirs, les aisances de la vie, et peut-être les désordres qui les accompagnent. Depuis cent ans, on a vu augmenter d’année en année le nombre des carrosses, la dépense des habits,