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Wilhelmine trace dans ses Mémoires un portrait cruel du margrave de Schwedt ; de tous ses prétendans, aucun ne lui inspira autant d’aversion, peut-être parce qu’aucun ne lui était aussi connu.

Charles XII, roi de Suède, figura un instant dans la galerie de gendres de Frédéric-Guillaume. Il ne put occuper beaucoup l’imagination de la princesse, qui avait neuf ans à sa mort. Les Mémoires font aussi allusion à un prince russe. Vint ensuite, si je n’en oublie, Auguste, électeur de Saxe et roi de Pologne. Celui-là mérite qu’on s’y arrête, et parce que l’affaire fut poussée assez loin, et parce qu’il est le plus singulier des prétendans protégés par Frédéric-Guillaume.

C’était en 1727, pendant l’accès de mélancolie et de dévotion qui inspira au roi la pensée de mettre sa femme et ses filles à la cuisine et à la lessive. Ses favoris, qui perdaient tout à une abdication, avaient essayé en vain de dissiper ses sombres vapeurs. À bout d’expédiens, ils imaginèrent un voyage à Dresde, chez le roi Auguste, et cette idée en fit naître une autre : ils suggérèrent à leur maître de mettre sa visite à profit pour traiter le mariage de son hôte avec la princesse Wilhelmine. Frédéric-Guillaume se laissa persuader, partit pour Dresde (janvier 1728) et fut ébloui. La cour de Pologne était alors la plus brillante de l’Allemagne. Son luxe parut fabuleux à un homme sortant de Wusterhausen. On y mangeait à sa faim et très au-delà, et l’on y buvait sans trêve. Les deux rois ne dégrisaient point et, dans l’humeur attendrie où ils se trouvaient, les négociations pour le mariage ne souffrirent pas de difficultés. Il est vrai que le roi Auguste avait alors cinquante-huit ans[1] et qu’il était fort cassé pour son âge, mais « son port et sa physionomie » étaient « majestueux ; » que peut demander de plus une princesse de dix-huit ans ? Il est vrai que le roi Auguste avait eu trois cent cinquante-quatre enfans naturels et qu’il avait encore le harem que comportait une famille de pareille importance ; Frédéric-Guillaume à jeun aurait jugé sévèrement sa conduite ; Frédéric-Guillaume ivre n’y pensait pas. Il est vrai que le roi Auguste avait eu « un accident au pied droit qui l’empêchait de marcher et d’être longtemps debout. La gangrène y avait déjà été, et on ne lui avait sauvé le pied qu’en lui coupant deux orteils. La plaie était toujours ouverte et il souffrait prodigieusement ; » mais cela rendait intéressant un prince qui continuait courageusement son métier de roi et se tenait debout, le sourire aux lèvres, quand l’étiquette l’exigeait. Il est vrai que le roi Auguste acheva de donner sa mesure morale en offrant à Frédéric-Guillaume et à son jeune fils Frédéric un spectacle

  1. Les Mémoires de la margrave disent 49 ; c’est une inadvertance ; Auguste était né en 1670.