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enfant taciturne et triste. Elle sut le secret de le consoler et de le ranimer. A mesure qu’il grandit, elle plaida sans relâche auprès de lui la cause des lettres et des arts, de la politesse, des idées humaines et modernes et la fit triompher contre leur père et ses soudards. Frédéric II eut en elle une confidente impénétrable, une alliée héroïque, une amie parfaite.


III.

Tous deux étaient en avance par leurs goûts et leurs idées sur le milieu où le sort les avait placés et ils en souffraient diversement, chacun selon son humeur. Sitôt que le prince Frédéric eut surmonté ses effroyables peurs d’enfant et cessé d’être éperdu au seul nom de son père, il ne pensa plus qu’à s’échapper et se lança à la légère dans des liaisons qui le menèrent à la tragédie de Küstrin. Sa sœur, au rebours, devint prudente et apprit la politique à l’âge où l’on joue d’ordinaire à la poupée. « j’ai eu de tout temps, dit-elle, le malheur de faire beaucoup de réflexions; je dis le malheur, car, en effet, on approfondit quelquefois trop les choses et l’on en découvre de très chagrinantes. » Elle ajoute que le trop de réflexions lui fut « quelquefois fort à charge, » qu’elle le trouvait cependant « utile pour bien diriger la conduite. » Elle avait treize ans lorsque l’expérience la réduisit à cette philosophie désenchantée et lui fît résoudre de tout approfondir, dût-il lui en coûter des nuits de larmes, comme il arriva souvent.

La sagesse parfaite aurait été de ne pas demander aux choses et aux gens « approfondis » plus qu’ils ne pouvaient donner. La princesse Wilhelmine avait par malheur plusieurs idées fort absurdes chez une fille de roi. Elle se croyait le droit d’être sans ambition. Elle s’entêtait à compter son bonheur pour quelque chose dans les arrangemens qui concernaient son avenir. « J’ai toujours été un peu philosophe : l’ambition n’est pas mon défaut, écrit-elle dans son aveuglement; je préfère le bonheur et le repos de la vie à toutes les grandeurs : toute gêne et toute contrainte m’est odieuse. » La reine Sophie-Dorothée, chez qui la juste fierté du rang était le seul sentiment que la férule de Frédéric-Guillaume n’eût pas déformé et aplati, accusait sa fille d’être une âme basse et le lui reprochait dans le langage énergique que le roi avait introduit à la cour. Elle demeurait suffoquée d’indignation quand la princesse Wilhelmine osait émettre la prétention d’être heureuse en ménage, et, au fond, c’était la reine qui avait raison ; elle sentait que la tradition monarchique s’en allait et que, sous prétexte de philosophie, les idées bourgeoises s’insinuaient dans les palais.

La princesse Wilhelmine était un peu sentimentale. Elle