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dans l’assassinat, que M. Ribot n’hésite pas à affirmer. À l’appui de cette affirmation, il emprunte au livre du docteur Despine la généalogie d’une certaine famille Chrétien dont plusieurs membres auraient été voleurs et assassins, et dont un des derniers descendans, le précoce et cynique parricide de seize ans Lemaire, aurait été exécuté à Paris il y a quelques années. Le professeur Lombroso par le également de cette famille dans son ouvrage, ce qui montre, soit dit en passant, que les exemples de ce genre ne sont pas nombreux, puisqu’on se repasse les mêmes familles d’ouvrage en ouvrage. Cependant il est juste de dire que Lombroso y ajoute également celui d’une famille américaine, la famille Yuke, dont les membres, au nombre de quatre-vingts, se sont rendus coupables de beaucoup de méfaits, vols et assassinats. Ces généalogies rappellent celle de l’illustre famille des Rougon-Macquart, que M. Zola a mise en tête de l’un de ses romans, famille dont tous les membres sont victimes de la névrose originaire du grand-père Rougon et de la grand’mère Macquart. Mais cette famille fantaisiste ne pouvant entrer en ligne de compte, il en reste deux qu’on peut citer à l’appui de la thèse. J’admets cependant qu’on en pourrait trouver d’autres ; mais ce n’est pas ainsi qu’il faut poser la question. Sur les 234 assassins, sur les 191 meurtriers qui ont passé en cour d’assises durant l’année 1884, combien y en a-t-il qui comptaient un père, un aïeul, un bisaïeul, un trisaïeul, un quadrisaïeul si l’on veut, assassin, parmi leurs ancêtres ? Pas un sur dix, pas un sur cent peut-être. Il est même à remarquer que ces cas d’hérédité apparente deviennent d’autant plus rares que le fait incriminé répugne davantage à la conscience et s’explique moins par l’éducation et l’exemple. Il est plus facile et plus fréquent de dresser un enfant au vol qu’à l’assassinat ou au meurtre. Aussi les cas de soi-disant hérédité sont-ils infiniment rares dans les crimes de sang ; mais, quelle que soit la proportion, on ne nie pas que ce ne soit l’infime minorité. Où donc est la loi alors ? « Une loi, dit M. Ribot lui-même, se découvre par un travail d’abstraction et de généralisation qui ne peut s’appliquer à des cas totalement divers, puisqu’on se propose justement de chercher les ressemblances et d’éliminer les différences. » — « Tous ces cas épars, ajoute-t-il quelques pages plus loin, toutes ces diversités qu’on ne saurait réunir en un faisceau, on les appelle des anomalies, c’est-à-dire des faits sans loi. » On ne saurait mieux dire ni mieux conclure. Mais ces cas épars et fatalement divers, ces diversités qu’on ne saurait réunir en un seul faisceau, ne sont-ce pas précisément les faits d’hérédité, et la prétention d’en tirer une loi n’est-elle pas aussi téméraire et (peut-être un profane n’a-t-il pas le droit de s’exprimer ainsi) aussi peu scientifique que possible ?