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l’animal. Mon éminent collaborateur, M. Janet, s’est fait ici même, dans un travail bien intéressant, l’historien de ses mécomptes[1]. Nous en avons eu depuis un exemple éclatant, lorsque les amis d’un éloquent tribun, après avoir disséqué en quelque sorte devant le public sa dépouille mortelle, ont eu le dépit de constater que le poids de son cerveau ne répondait nullement aux brillantes facultés oratoires dont il était doué, et lorsqu’on désespoir de cause ils ont dû, pour expliquer son génie, se rabattre sur la richesse et la beauté de ses circonvolutions cérébrales. Lombroso n’a point eu ces consolations. Rarement il a pu travailler sur la matière cérébrale toute fraîche. Racontant quelques observations curieuses faites par lui sur le cerveau d’un guillotiné : « Malheureusement, ajoute-t-il avec mélancolie, les observations de cette nature ne peuvent être faites sur des vivans. » Il a pu, du moins, comparer entre eux le poids d’un certain nombre de cerveaux pesés après décès; mais de ces pesées comparatives, il lui a été impossible de conclure si le cerveau de l’homme criminel était habituellement plus ou moins lourd que celui de l’homme ordinaire. En revanche, le professeur Lombroso s’est dédommagé aux dépens des crânes d’hommes vivans qu’il a pu palper et mesurer tout à son aise, au grand étonnement, sans doute, des pauvres diables qui se sont soumis assez bénévolement à ses observations, et sur ces crânes il affirme avoir découvert les particularités les plus curieuses. Suivant lui, la boîte crânienne présenterait chez les criminels d’habitude trois traits caractéristiques : la brachycéphalie chez les assassins, la dolichocéphalie chez les voleurs, le prognathisme chez tous les deux, c’est-à-dire, pour parler une langue moins scientifique (j’allais dire moins barbare), que les assassins auraient le front étroit et le derrière de la tête large, les voleurs auraient la tête aussi longue que large, enfin voleurs et assassins auraient les mâchoires inférieures très prononcées. Mais le savant observateur néglige de nous dire comment est fait le crâne de ceux (et ils sont nombreux) qui, après avoir volé, finissent pas tuer. Si, par une rapide évolution de dolichocéphales, ils ne deviennent pas brachycéphales, je ne vois pas trop quelle est la valeur scientifique de l’observation. Aussi le professeur Lombroso n’y insiste-il pas d’une façon particulière; mais, en revanche, il s’appesantit sur une découverte que nul avant lui n’avait soupçonnée, « celle d’une fossette moyenne qu’on rencontre au lieu de la crête sur l’os occipital dans la proportion de 16 pour 100 chez les criminels et de 5 pour 100 chez les non-criminels. » On aperçoit tout de suite la portée de cette découverte, et combien l’existence de cette fossette accusatrice doit contribuer à déterminer la conviction des

  1. Voir, dans la Revue des 15 juin et 15 juillet 1865, l’étude sur le Cerveau et la Pensée.