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et aussi plus de mendians et de vagabonds, qu’elle n’en comptait il y a Un demi-siècle. Où est le progrès alors, si l’amélioration de la condition matérielle n’a point eu pour conséquence une élévation de la condition morale, bien plus, si la moralité paraît marcher en sens inverse du progrès? Et immédiatement se pose une autre question : cet accroissement de la criminalité est-il une conséquence, sinon de la civilisation, du moins de ses raffinemens excessifs, qui, en augmentant les jouissances, augmenteraient aussi le besoin de les satisfaire à tout prix? Ou bien faut-il, au contraire, demander l’explication de cet accroissement à des causes indépendantes de ces raffinemens de la civilisation? Question ardue et qui n’est peut-être pas susceptible d’une solution absolue, mais que nous parviendrons du moins à éclaircir en étudiant avec patience les principaux mobiles de la criminalité.


II.

Dans un temps où une puissante école philosophique s’efforce d’ébranler la notion de la liberté morale, et d’expliquer toutes les actions de l’homme par des mobiles inconsciens et impérieux qui détermineraient fatalement sa conduite, il était inévitable que l’application de cette théorie nouvelle fût faite à la criminalité. En effet, quelques criminalistes, disciples de l’école philosophique dont je viens de parler, tendent aujourd’hui à chercher l’explication de tous les méfaits humains dans certaines conformations physiques ou dans certaines prédispositions héréditaires. Et comme il n’y a série d’observations plus ou moins ingénieuses et hasardées qu’on ne s’empresse de baptiser du nom de science, ainsi avons-nous vu naître ce qu’on appelle d’un nom retentissant : l’anthropologie criminelle. Les créateurs de cette science nouvelle n’ont pas manqué d’avoir recours aux deux moyens par lesquels toute science digne de ce nom affirme son existence : un congrès et un bulletin. Le congrès a été tenu à Rome en 1885 et le bulletin se publie à Paris. Mais le compte-rendu des séances du congrès n’a pas encore été publié, et le bulletin n’a que peu d’années d’existence. Pour étudier cette science, les documens feraient donc un peu défaut, si ce même ordre de préoccupations n’avait inspiré d’intéressans travaux. Le plus important est assurément un gros ouvrage de M. le professeur Lombroso, déjà parvenu en Italie à sa quatrième édition et traduit tout récemment en français sous ce titre : l’Homme criminel. Dans cet ouvrage, le savant professeur a réuni toute une série d’observations faites en Italie par lui-même ou par d’autres sur un assez grand nombre de criminels. On peut discuter la plupart des conclusions que Lombroso tire des observations