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burnous, ils s’en vont. Ainsi firent les tribus que l’émir avait appelées du Tell ; ses réguliers demeurèrent seuls, encore les khiélas étaient-ils en partie démontés ; les chevaux n’avaient plus d’orge. Les mortiers venus, la ville fut bombardée pendant trois jours ; elle ne se rendit pas. L’autorité de l’émir était atteinte ; les fidélités s’ébranlaient. Un convoi de vivres impatiemment attendu, car l’assiégeant commençait à souffrir de la faim, fut pillé par les Larbâ ; c’était une grande tribu qui pouvait envoyer plus de six cents cavaliers à la guerre. À l’heure qui a donné son nom à la razzia, au point du jour, elle se laissa surprendre auprès de Tadjemout par les khiélas de l’émir et lâcha sa proie. C’était la vie assurée au camp pour quelques jours ; mais après ? Ni les boulets ni les bombes n’ayant eu raison de la ville, on essaya de la guerre souterraine ; on fit venir des mineurs de Figuig, les plus réputés parmi les Arabes ; partout leurs galeries rencontrèrent les contre-mines de l’assiégé. Les marabouts des Hachem, la tribu même d’Abd-el-Kader vinrent lui demander d’abandonner une entreprise qui ne faisait tort qu’à sa puissance. Les Beni-Mzab, sommés par ses collecteurs de payer l’achour, avaient répondu : « Si c’est du secours que tu demandes, nous ne pouvons pas t’en fournir ; pauvres nous-mêmes, nous gardons nos ressources pour aider nos malheureux ; si c’est autre chose que tu veux, nous avons cinq villes, et dans chacune deux mille tireurs comme ceux d’Aïn-Madhi. Viens donc, et nous te recevrons en gens de cœur. » Comme les Beni-Mzab, les Flitta refusèrent l’impôt, et la résistance gagna jusqu’aux Hachem.

Cependant Abd-el-Kader ne cédait pas : « Venu fort comme un taureau, disait-il, je ne peux pas m’en aller comme une vache. » L’aveu de sa défaite, c’était sa déchéance. Après avoir essayé de la force, il se rejeta, de guerre lasse, sur la diplomatie religieuse. De saints marabouts, des agens du sultan de Maroc s’entremirent ; ils prêchèrent Tedjini au nom des grands intérêts de l’islam ; ils lui persuadèrent de couronner sa magnifique défense, non par une capitulation, mais par un acte de résignation magnanime ; en un mot, de céder pour quelque temps la possession d’Aïn-Madhi à l’émir. Il y consentit. Un armistice de sept semaines fut conclu le 30 novembre ; pendant qu’Abd-el-Kader se retirait avec ses troupes à Tadjemout d’abord, puis à Laghouat, Tedjini faisait emporter vers le Zab tout ce que les années avaient accumulé dans la kasba ; six cents chameaux furent employés au transport de ses richesses. Les gens d’Aïn-Madhi suivirent l’exemple de leur chef. Quand Abd-el-Kader fit, le 11 janvier 1839, son entrée dans la ville, elle était à peu près vide. Selon la convention, il n’y devait pas demeurer toujours, mais rien n’empêchait qu’en la quittant il ne laissât derrière