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échappé à ses coups trouvèrent un asile sur la terre française ; il en vint seize cents, hommes, femmes et enfans. Ces réfugiés furent établis. les uns auprès du fort de l’tau, non loin d’Alger, les autres sur la rive gauche de l’Oued-Hamiz; trois cents des plus vigoureux, organisés en compagnies soldées, occupèrent la redoute du Boudouaou.

De retour à Médéa, l’émir témoigna le désir d’entrer en pourparlers sur cette question si compliquée des limites ; le maréchal lui envoya le directeur des affaires arabes, qui ne put ni lui faire accepter l’interprétation française ni accepter davantage la sienne ; tout ce que l’émir accorda fut que, les termes du traité prêtant à l’équivoque, l’une et l’autre opinion pouvaient être soutenues de bonne foi. Pour donner suite à ces avances, il résolut d’envoyer à Paris, sous le prétexte d’offrir des présens au roi, le plus habile de ses négociateurs, Miloud-ben-Arach. Ce personnage, escorté de Ben-Durand et du Maure Bouderbah, passa par Alger. Dans une lettre au comte Molé, le maréchal esquissait ainsi le portrait de ces deux acolytes : « Durand est un intrigant, avide d’argent, qui ne voit dans les négociations avec les Arabes qu’un moyen d’augmenter sa fortune. Bouderbah est un homme astucieux, profondément ennemi des chrétiens et qui a été accusé d’exciter les Arabes à se soulever contre nous. Je crois qu’il faut le surveiller avec soin. Pendant son séjour en France, il a contracté des liaisons avec plusieurs employés du ministère de la guerre; depuis son retour en Afrique, il correspond avec eux et a été exactement informé de plusieurs faits importans. Il n’a pas fait mystère de ses relations ; quelquefois j’apprends par la voix publique que le gouvernement a arrêté des dispositions dont l’avis officiel ne me parvient que longtemps après. Bouderbah. d’après les rapports que j’ai reçus, a engagé Abd-el-Kader à donner à Ben-Arach la mission d’obtenir que les affaires fussent traitées entre le roi et l’émir, les ministres servant d’intermédiaires. Cette concession, dont le moindre inconvénient serait d’amoindrir et de déconsidérer le gouvernement général de l’Afrique, placerait, si elle était admise, Abd-el-Kader au rang des souverains indépendans et assurerait l’établissement de la nationalité arabe contre laquelle nous luttons. » Le comte Molé s’empressa de rassurer le gouverneur et de lui promettre que, si Ben-Arach voulait sortir à Paris de sa mission de parade, il en serait pour ses frais d’intrigue et d’éloquence.

Au fond, de part et d’autre, on sentait bien que le traité de la Taïna n’avait fait qu’embrouiller les choses et préparer la guerre. Le comte Molé ne se faisait pas d’illusion à cet égard : « Quelque opinion qu’on conçoive des avantages définitifs que la France recueillera de nos établissemens en Afrique, écrivait-il au maréchal