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dans la chambre du chevalier sans peur et sans reproche, préparer un édifiant discours en compagnie d’une gamine de café-concert ; il n’a pas humé la famée de tabac et la poudre de riz du Skating ; il ne s’est pas acoquiné à flâner dans cette friande boutique, Aux produits du Midi ; même la brandade, l’adultère brandade, servie dans la petite maison de la rue de Londres, il s’en est refusé les délices ; que dis-je ! il s’est privé de Bompard, ce Tartarin acclimaté à Paris, et dont la figure sèche et mince, comme une gousse d’ail serrée entre deux feuillets, suffirait à embaumer tout le roman !

La pièce commence, — Elle finira de même, — pendant que Numa gesticule et pérore à la cantonade, acclamé par une foule. Une tente de coutil, ouvrant sur les arènes d’Aps, où retentit la fête, c’est là d’abord que nous voyons Mlle Roumestan : elle n’aime guère ce bruit et cette poussière. Elle sait que le proverbe du pays dit vrai, — quoiqu’il soit du pays : — « Joie de rue, douleur de maison. » C’est là qu’il revient, l’avocat-député, comme un toréador après la course, et qu’il reçoit des hommages, et qu’il distribue des promesses… Bah ! ce qui est promis n’est pas donné ! « Pourtant, dit Rosalie, les mots signifient quelque chose. — Mon Dieu, réplique Numa, cela dépend des latitudes. » Mais elle prend pour sérieux le serment qu’il lui fait : il l’aime, il lui sera fidèle. Soit ! effaçons le passé, recommençons la vie… C’est qu’une fois, déjà, il l’a trompée : s’il retombait dans sa faute, tout serait fini entre eux. Voilà donc la partie engagée.

À Paris, dans le cabinet de Me Numa. Il va, il vient, il parle : « quand il ne parle pas, il ne pense pas. » Par manie de parler, et de plaire en parlant, il offre à ses deux secrétaires la main de sa jeune belle-sœur. Il jure à sa femme d’éconduire un client véreux ; d’abord, en effet, le plus sincèrement du monde, il avertit ce personnage de ne pas compter sur son office ; mais, à la fin de l’entrevue, sans lui avoir permis de placer une syllabe, il se trouve plus engagé envers lui qu’auparavant. Il reçoit la diseuse de chansonnettes, la petite Dachellery, cette fausse ingénue, et sa mère ; il fredonne avec elle le duo de Mireille. Cependant, un valet présente sur un plateau la carte de l’évêque de Nîmes : « Donnez ! » dit la duègne. Ainsi l’ennemi est dans la place, le ver dans le fruit.

La soirée, maintenant, où Numa présente à sa femme celle qui sera tout à l’heure sa maîtresse. Tout à l’heure… Oui, les invités se retirent ; où va-t-il, ce Numa ? Il va, s’il faut le croire, corriger les épreuves d’un discours. Vainement Rosalie l’arrête, il lui échappe ; il sort, le cœur léger, en lui jetant un baiser du bout des doigts. — Et voici le même salon, les lustres éteints, à l’aube : Numa rentre à tâtons, la figure fripée, la bouche sèche. Sa femme aussi reparaît ; elle l’a suivi, elle connaît son crime : « Adieu ! » À son tour, il veut la retenir, même de force : « Ah ! tu as peur, s’écrie-t-il. — Ce n’est pas