Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obtenir des conclusions d’une irréfragable certitude, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit, soit de faits, qu’on ne connaît d’ailleurs que par des témoignages, soit de rapports à établir par voie de comparaison entre des faits. Ici on ne dépasse point cette probabilité dont personne ne connut mieux que Pascal la grande portée et le grand usage, mais qu’il connaissait bien aussi pour laisser toujours place à la chance et au doute. La « règle des partis » est celle que doivent suivre des joueurs pour se partager équitablement les enjeux. S’y conformer en religion comme partout est sagesse. L’absolue certitude est ailleurs. Le cœur seul en est le siège, et c’est là aussi que réside, rigoureusement parlant, la religion. « La religion est Dieu sensible au cœur. »

En conséquence, le véritable enseignement de la religion, celui que tout autre ne fait que préparer est l’inspiration. Où Pascal avait écrit d’abord « révélation, » dans le passage qui suit, il a écrit ensuite « inspiration, » comme rendant ainsi plus exactement sa pensée : « Il y a trois moyens de croire : la raison, la coutume, l’inspiration. La religion chrétienne, qui seule a la raison, n’admet pas pour ses vrais enfans ceux qui croient sans inspiration. Ce n’est pas qu’elle exclue la raison et la coutume ; au contraire, il faut ouvrir son esprit aux preuves, s’y confirmer par la coutume, mais s’offrir par les humiliations aux inspirations, qui seules peuvent faire le vrai et salutaire effet. »

L’utilité du raisonnement, c’est, suivant la règle des partis, d’opposer aux raisons qu’oppose à la religion l’irréligion des raisons contraires et plus fortes, de confondre ainsi la sophistique. L’utilité de la coutume est, comme dit quelque part Pascal, de « ployer la machine, » c’est-à-dire, par des pratiques et des habitudes conformes à la religion, de réduire la résistance du moi, toujours prêt à se défendre contre ce qui l’humilie. C’est la signification de ce passage connu des Pensées, où, dans un dialogue imaginaire, après avoir exposé sa théorie des chances à celui qui résiste et qui dit : «N’y a-t-il donc pas moyen de voir le dessous du jeu ? — On me force à parier, et je ne suis pas en liberté, et je suis fait d’une telle sorte que je ne puis croire ; » il répond : Travaillez donc à vous convaincre non par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. — « Apprenez de ceux qui ont été liés comme vous et qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d’un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière dont ils ont commencé; c’est en faisant tout comme s’ils crevaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. — Mais c’est ce que