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liquide ou du vase dans lequel il montait, soit par le poids de l’air qui le pressait par en bas. C’est dans ces termes qu’il dut conseiller à Pascal, en quelqu’un des entretiens qu’il eut avec lui, de faire vérifier sur une des montagnes de l’Auvergne, en s’y portant à différentes hauteurs où la colonne d’air, plus ou moins haute, devait différer de poids, la dernière de ces hypothèses. Pascal, prévenu, à cette époque, de l’horreur du vide, à laquelle ne croyait sans doute pas Descartes répugnant d’ailleurs à certaines théories physiques de celui-ci, put faire peu d’attention à son avis, peut-être même l’entendre à peine. Descartes, d’autre part, après le succès de l’expérience du Puy-de-Dôme, qui écartait deux des trois hypothèses entre lesquelles il avait été indécis, put facilement oublier ce qu’il avait mêlé au conseil qu’il donnait de faire cette expérience de conseils différens et de théories qui les motivaient, et se persuader d’avoir ainsi communiqué à Pascal plus de lumière sans mélange d’obscurités qu’il ne lui en avait communiqué effectivement. Torricelli, au contraire, avait, paraît-il, proposé seule, et toute pure, la conjecture que l’ascension des liquides était un effet de la pesanteur de l’air. Pascal, qui en fut frappé, ne crut rien devoir et peut-être ne dut réellement rien qu’au physicien florentin. On est autorisé à supposer, de plus, que la réflexion amena Descartes à reconnaître que Pascal, sur ce point, ne lui était guère redevable. Car, loin qu’il montre à son égard aucun ressentiment, on le voit plus tard, de la Suède où il s’était transporté, faire échange avec lui d’expériences sur ce même sujet de la pesanteur de l’air dont ils s’étaient jadis entretenus ensemble. On peut supposer enfin que Pascal, lorsqu’il se fut défait de son ancienne croyance à l’horreur de la nature pour le vide, lorsqu’il eut surtout renoncé aux sciences et à la gloire qu’il s’en était promise autrefois, presque uniquement préoccupé désormais de la question bien plus grave du bien et du mal, et, dans l’inquiétude d’une conscience de plus en plus scrupuleuse, plein du désir toujours plus ardent de se laver, par le repentir, de toute tache à sa vie, en vint à se demander s’il n’avait pas peut-être méconnu autrefois quelque obligation, si faible fût-elle, qu’il avait pu avoir au grand philosophe, et que de là s’accrut l’aversion qu’il avait conçue et qu’il exprima avec tant de force pour ce mauvais conseiller qui est l’esprit de personnalité.

En tout cas et, quoi qu’il en soit de cette supposition, qui avait mieux connu la tentation suprême, qui est celle de se déifier, et qui, par là, en avait pu mesurer mieux le péril que celui dont l’enfance, précoce jusqu’au prodige, avait ébloui tous ceux qui en avaient été les témoins, parmi lesquels les premiers esprits du