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et qui sera, — il le veut, — accompagnée d’une fortune indépendante. Elle pourra ainsi plus tard se marier à son gré. Si sa préférence se fixe sur lui, Hamlin, il l’en bénira, car il l’aime; mais rien ne l’engage d’ailleurs, elle reste libre. Abasourdie d’abord comme par un coup de foudre, la pauvre fille accepte tout, froidement en apparence, quoique au fond elle se sente heureuse à en mourir. Mais son consentement ne suffit pas, elle a un véritable tuteur, son cousin Richard Brown, qui est contremaître en Angleterre, dans une fonderie. C’est à lui que Perry s’adresse pour empêcher un mariage absurde, qui ne peut avoir, autant qu’en peut juger la sagesse mondaine, que de déplorables résultats. Et Richard vient en personne apprécier le cas, défendre cette parente qu’il a aimée toute petite, alors qu’il vivait en Italie chez l’oncle Brown, son bienfaiteur.

La scène est belle entre les deux hommes : celui-ci, un robuste gaillard de trente-six à quarante ans, dur comme le fer qu’il a manié toute sa vie, d’une laideur intelligente, ses traits camus encadrés dans une barbe inculte, sans manières, du reste, mais plein de logique et de bon sens ; celui-là, le descendant physiquement appauvri d’une race noble émigrée jadis à la Jamaïque, languissant et beau comme une femme, qui demande à l’art le plus raffiné toutes ses sensations bonnes et mauvaises, sans autre guide, sans autre frein que le culte vague autant que subtil d’un idéal. Comment Richard comprendrait-il le besoin qui lui est venu de rétablir dans ses droits de reine, uniquement parce qu’elle est à ses yeux la plus belle personne du monde, une femme qu’il connaît à peine et qu’il a rencontrée au bas de l’échelle sociale? Il s’imagine tout simplement que cet aristocrate, libertin et efféminé, propose à sa cousine, en échange de la honte, le moyen subséquent de se marier et de vivre dans l’aisance. S’il veut la faire instruire, c’est pour s’amuser avoir les résultats de l’éducation sur une telle nature. Infamie que tout cela!

Hamlin arrive à calmer les susceptibilités et les soupçons de ce rustre en lui expliquant qu’il compte dès à présent placer sur la tête de miss Brown un capital considérable qui sera administré par lui, Richard, jusqu’à la majorité de celle qu’il laisse parfaitement libre de devenir ou non sa femme, tandis que, pour sa part, il s’engage à l’épouser dès qu’elle le voudra. Ce singulier marché est enregistré par acte au consulat d’Angleterre.

Forcé d’admettre la bonne foi du prétendu séducteur, Richard Brown essaie de détourner sa cousine d’un arrangement qui lui inspire, on le sent, des répugnances et des révoltes toutes personnelles. Avec une rudesse, un manque de tact que seuls les Anglais de cette classe peuvent posséder à pareil degré, il prouve à