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dans une des bibliothèques plutôt, car l’instruction publique n’a pas été négligée, et les réformes dont elle a été l’objet dès les premiers temps de notre occupation ont été nombreuses. Le moment est venu d’en dire quelques mots en terminant.

Une direction de l’enseignement a été instituée et pourvue de tous les fonds que le protectorat put lui consacrer sur son budget : ces fonds viennent d’être augmentés d’un quart environ sur le budget de 1886-1887 (283,000 francs au lieu de 218,400 en 1885-1886). De toutes parts, en outre, elle a reçu des secours et de l’appui. Ces sacrifices n’ont pas été perdus. Guerriers et cavaliers médiocres, peu actifs, les Tunisiens aiment l’étude ; ils sont, autant que peuvent l’être des Arabes, curieux de s’instruire. Leur enseignement, avant notre arrivée chez eux, jouissait d’une certaine renommée : des Marocains, des Algériens, venaient achever leurs études dans leur université. Des institutions pieuses, des établissemens scolaires, ont été fondés sous tous les règnes par de fervens musulmans, et sont entretenus non par l’état, mais par l’administration des biens habbous.

On sait que l’enseignement des musulmans consiste surtout dans la lecture et l’interprétation du Coran, et que le prêtre tient lieu de maître dans la mosquée qui sert d’école. Dans la grande mosquée, — L’université de Tunis, — Chaque professeur, accroupi sur une natte, au pied d’une colonne, donne ses leçons que les élèves répètent ensemble à haute voix ; à côté les uns des autres, de colonne en colonne, en plein air ou dans la grande salle, se groupent ainsi les professeurs de grammaire, de théologie, de morale, d’interprétation ou de droit. Cinq cents écoles primaires ou coraniques sont répandues dans la régence; il n’est pas de pauvre village où vous ne voyiez les enfans réunis dans une maison, sur une terrasse ou dans un jardin, en face d’un maître. Leurs babouches alignées derrière eux, drapés dans des burnous multicolores, ils se balancent sur les hanches et répètent, répètent indéfiniment. Quand on entend d’un peu loin leur ramage, on croit passer près d’une volière pleine d’oiseaux. Ces écoles ont été regardées longtemps comme des foyers de fanatisme. En effet, si nous cherchons à les supprimer ou à les restreindre, les maîtres que nous menaçons dans leur principal intérêt apprennent à leurs élèves à nous haïr: ils maudissent comme des parias les parens qui cesseraient pour nous complaire de leur envoyer leurs enfans; leur enseignement devient d’autant plus obligatoire et exclusif pour les musulmans que nous le proscrivons. Si, au contraire, nous savons, tout en le surveillant sans tracasserie, le tolérer, si nous ne formons pas ce rêve extraordinaire de faire oublier aux Arabes leur propre langue, les maîtres, ne se sentant pas menacés, ne nous feront pas