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se montrer difficiles. Ces vagabonds, d’ailleurs, font tous les métiers, et, s’ils commencent par donner aux indigènes une triste idée de l’Europe, ils suivent l’armée, établissent des cantines, puis des magasins, puis des auberges auprès des campemens militaires ou des marchés. Combien de villages se sont fondés ainsi en Algérie, de ces villages qu’on appelle au début, invariablement, « Coquinville, » mais qui n’en sont pas moins les villes de l’avenir! Rien n’est plus triste à voir qu’une de ces villes à ses débuts, parce qu’on ne pense qu’au présent; on ne conçoit pas que de pareils élémens puissent jamais engendrer la prospérité; rien ne montre mieux pourtant, si on réfléchit, qu’il ne faut pas désespérer de l’homme, et que les plus misérables d’entre nous, dès qu’ils travaillent ou qu’ils possèdent, si seulement même ils ne font que se reproduire, agrandissent et vivifient le vieux monde où nous sommes nés.

Une police peu nombreuse pouvait répondre de l’ordre, mais à la condition de n’être point trop attaquée par la presse; celle-ci aurait pu chaque jour tout compromettre, si elle avait eu dans un pays que nous occupions depuis la veille et où elle faisait ses débuts les libertés dont elle jouit en France. Des polémiques violentes entre les journaux étrangers, des campagnes entreprises contre le protectorat ou contre une nation voisine, auraient infailliblement fait dégénérer en discorde les divisions qui existaient déjà entre les différentes colonies ; il eût suffi de deux ou trois fous pour bouleverser la ville. La nouvelle administration n’en a pas moins déclaré la presse libre; elle a adopté notre loi du 29 juillet 1881, dans la mesure la plus large, et sauf les modifications que lui imposaient les usages ou les traditions d’un pays qui ressemble si peu au nôtre. Ainsi tous les journaux peuvent paraître sans autorisation, mais les directeurs de journaux politiques doivent verser un cautionnement qui garantit le paiement des amendes et l’application des peines auxquelles ils peuvent être condamnés s’ils se rendent coupables d’injures ou d’attaques graves envers le bey, la religion musulmane ou la France. On a beaucoup critiqué cette loi ; on a dit qu’il eût mieux valu être moins libéral en cette matière pendant la première période de notre occupation, quitte à l’être davantage plus tard. La question perd de son importance quand on sait que, par chaque courrier d’Italie, de Marseille, d’Algérie, c’est-à-dire presque tous les jours, entrent des journaux que ne gêne aucune entrave et dont on ne peut guère empêcher la distribution.

Le décret qui émancipe la presse réglemente en même temps la publication des livres et des brochures. Chaque ouvrage nouveau doit être déposé en deux exemplaires à la bibliothèque de Tunis,