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les frais, laissant au protectorat toutes les charges du gouvernement sans exception, justice, armée, travaux publics, et n’ayant à payer sur notre budget que le traitement du résident.

Cette armée devra toutefois, un jour ou l’autre, et le plus tôt serait le mieux, finir par occuper toute la régence. A l’heure actuelle, une situation difficilement explicable se prolonge : Gabès, qui est à une distance considérable, au nord, de la frontière tripolitaine, près de 100 kilomètres, semble cependant rester pour nous le point terminus de nos garnisons dans le sud. Nous entretenons des troupes dans l’intérieur des terres jusqu’à Ksar-Moudenine, à Ksar-Metameur, au nord de l’oued Fessi, mais non au-delà, et sur la côte nous ne dépassons pas Gabès. A Zerzis, le plus méridional des ports tunisiens, nous avons installé des employés du télégraphe, ce qui prouve que le poste est sûr, mais on n’y envoie pas de soldats. Le résident les réclame, le général les refuse, des tiraillemens se sont produits à ce sujet entre les deux autorités, le public a envenimé la querelle, la presse en a fait un conflit, si bien que l’armée considère aujourd’hui comme un point d’honneur de ne pas céder. Pourquoi? Probablement pour ne pas paraître obéir à la résidence ; peut-être encore parce que, à 3 ou 4 kilomètres de Gabès, sur une éminence, un camp important a été établi au début de notre occupation; ce camp, Ras-el-Oued, n’est pas sain, mais il a été aménagé le mieux possible; on ne se décide pas sans peine à l’abandonner, à n’y laisser qu’un nombre d’hommes disproportionné avec son étendue.

Tandis que le désaccord menace de s’éterniser, que se passe-t-il dans le sud? Entre Gabès et la frontière tripolitaine s’étend une vaste zone très riche, habitée par la tribu des Ourghemmas, qui veulent rester ce qu’ils ont toujours été : Tunisiens. Si nous les laissons en dehors du territoire que nous occupons, nous les abandonnons aux pillards de la Tripolitaine, et nous voyons s’établir chez eux, c’est-à-dire en Tunisie même, le trouble et l’anarchie, quand il suffirait de quelques postes d’infanterie reliés entre eux par des téléphones et d’autant de détachemens de cavalerie, pour que leur isolement cessât et que leur fertile territoire fût rendu au travail et à la prospérité. Les Ourghemmas sont-ils suspects, nous tendent-ils un piège en nous appelant à eux, courons-nous le risque de surexciter leur fanatisme en faisant flotter le drapeau français dans leurs villages ou dans leurs douars? Pour s’en assurer, le ministre résident, M. Cambon, s’est rendu seul chez eux au printemps dernier, il a parcouru leur pays, et, comme il n’avait pas d’escorte française, ce sont les Ourghemmas eux-mêmes qui ont voulu l’accompagner : il a franchi l’oued Fessi, que certains géographes donnaient à tort comme limite à la régence, et a pu, grâce à cette escorte indigène,