Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« un fonds disponible dont le possesseur peut faire usage d’une minute à l’autre pour se procurer des ressources, soit en le cédant, soit en l’hypothéquant, soit même en empruntant sur le dépôt du titre. » La commission se montra large dans l’application de cet ingénieux système aux Arabes; elle ne l’imposa à personne; aux propriétaires qui veulent l’adopter, elle ne demande qu’une formalité, l’immatriculation : ils n’ont qu’à déposer leurs litres chez un fonctionnaire nouveau, le conservateur de la propriété foncière ; celui-ci fait une enquête minutieuse, procède à des publications préalables afin d’avertir les tiers, se fait remettre par un service topographique récemment constitué une description exacte et un plan du domaine; après quoi, il délivre au propriétaire un titre rédigé en français, et qui n’est rien moins qu’une sorte d’acte de naissance de la terre. L’authenticité de cet acte, que nul ne peut contester, et la précision des indications qu’il contient, permettraient à la rigueur à un acquéreur d’acheter une propriété sans aller la voir, sur la vue seule d’un papier qui, avant l’immatriculation, n’avait presque plus de valeur. Chaque mutation est inscrite sur le titre, ainsi que les servitudes et les hypothèques : la propriété a son dossier, son état civil, que chaque intéressé peut consulter; le tribunal français peut dès lors juger sans difficulté les contestations dont elle est l’objet. Les indigènes sont libres de continuer à s’adresser à leurs juges dans leurs procès immobiliers, mais l’immatriculation suffit pour qu’ils puissent recourir aux nôtres. Ces innovations datent de deux ans à peine, et elles ont si bien réussi qu’on en demande l’application en Algérie, en France même. En Tunisie elles auront, entre autres avantages, celui de liquider le passé des immeubles; en effet, ceux-là seuls qui seront immatriculés auront bientôt toute leur valeur; sur les autres pèsera une suspicion qui éloignera les acheteurs de bonne foi, et peu à peu tous les détenteurs du sol se verront contraints, sans aucune pression administrative, de prouver que leur bien est à eux en régularisant leurs titres ou de l’abandonner aux véritables propriétaires.

L’immatriculation sera en outre la base naturelle du cadastre. Pour cette raison, et aussi parce qu’elle entraine des frais peut-être trop considérables, les Arabes ne se presseront pas encore autant qu’on pourrait croire de la réclamer. Les exactions les ont habitués à cacher le plus possible de ce qu’ils possèdent; autant pour ne pas offenser Mahomet que par précaution, ils ne se vantent jamais d’être riches ; les beys eux-mêmes s’intitulent depuis bien longtemps : pauvres devant Dieu ! Mais laissons faire le temps et les procès!

Nous omettrons les dispositions secondaires de la loi; très éclectique