Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la régence, en 1884-1885, a été de l,456; celui des Français, de 833; l’année suivante (1885-1886), nous arrivons, pour les nôtres, au chiffre de 943, mais eux à 2,177; le tonnage toujours en notre faveur ; nous dirons un peu plus loin le chiffre non moins frappant des passagers. Leur chemin de fer a été sauvé de la ruine par le transport de nos officiers, de nos fonctionnaires et de nos touristes; ils se sont rendus adjudicataires, les premiers et en grand nombre, des travaux à entreprendre pour le compte du génie ou des subsistances à livrer à notre intendance. Quant aux Marocains, comme les nègres, ils se contentent de salaires si faibles qu’ils sont toujours sûrs, étant très robustes, de trouver de l’ouvrage.

Et les Français? on ne voit pas bien ce qu’ils gagnaient, eux, au protectorat. N’avions-nous envoyé nos troupes dans la régence que pour l’avantage d’autrui? Ces questions se posent d’elles-mêmes, infailliblement, à l’origine de toute entreprise coloniale. Les émigrans poursuivent un but immédiat : des bénéfices personnels dans le présent ; l’état en poursuit un autre, parfois éloigné : des avantages généraux auxquels il doit subordonner, souvent même sacrifier les intérêts particuliers du premier jour, sa principale préoccupation étant de ne pas imposer des charges trop lourdes à la métropole. A la longue, le gouvernement peut faire comprendre aux émigrans qu’en fin de compte il travaille pour eux ou pour leurs fils et leur montrer des résultats; mais, au début, il ne peut répondre aux exigences que par des promesses, le désaccord est inévitable ; voyons ce qui s’est passé à Tunis.

Les Français que nous y avons trouvés établis étaient maîtres de la prépondérance sous le régime consulaire, autrement dit favorisés entre tous les habitans : les premiers, ils durent se plier à la discipline nouvelle, donner l’exemple, abdiquer leurs prérogatives. De 1883 à 1884, ils furent les seuls à ne pas avoir une justice d’exception ; seuls ils étaient déclarés en faillite, seuls ils ne pouvaient retarder l’exécution des jugemens rendus contre eux. Groupés autour du résident, comme autrefois autour de leur consul, leur attitude fut cependant patriotique et sage : ils attendirent, sans protester, les dédommagemens de l’avenir. Mais les nouveau-venus, rivaux naturels des anciens, ceux qui n’avaient ni maison, ni famille, ni relations pour les aider à prendre patience, ceux qui, ignorans des mœurs, de la langue, débarquaient avec des espérances ou des appétits sans limites et peu de ressources, quel fut leur désappointement quand ils virent s’organiser une administration dont ils attendaient des largesses et qui apportait de Paris ce programme : des économies, pas de colonisation officielle, peu de fonctionnaires! On avait beau leur dire qu’avant de distribuer les trésors que