Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont été conservées en qualité de servantes, après avoir terminé leur office auprès du poupon. Ce n’est pas tout que d’avoir aidé la jeune fille pendant ces jours où sa faute est vraiment payée plus cher qu’il ne convient; il y a là-bas, dans la province, la famille qui a tout appris, qui se voile la face et refuse d’accorder un pardon qu’elle sait devoir ne pas être gratuit. Si par malheur le père est entré, un soir, au théâtre de la ville voisine, s’il a lu quelques romans-feuilletons, s’il a vu la Closerie des genêts ou la Grâce de Dieu, il sait qu’en pareil cas il est d’usage de maudire et il maudit. C’est alors que l’Œuvre des Libérées intervient et que l’on s’efforce d’amener un rapprochement entre une fille trop durement battue par le sort et des parens dont la sévérité est parfois plus intéressée que réelle. J’ai parcouru quelques lettres échangées à ce sujet; il me semble qu’elles pourraient se résumer en cette formule finale : je consens à pardonner, pourvu que ça ne me coûte rien. — Non, bonhomme, vous ne débourserez rien, et, si l’on vous renvoie votre fille, on paiera le voyage. — Malgré quelque mauvaise humeur d’un côté et un peu de honte de l’autre, la réconciliation se fait, et l’imprudente qui est venue se perdre à Paris pourra retourner au village, où elle se sauvera si elle doit être sauvée.

L’œuvre n’est pas seulement en relations avec l’asile maternel, elle est en communication permanente avec l’Hospitalité du travail, qui a pu abandonner sa masure de la rue d’Auteuil et s’établir, avenue de Versailles, n° 52[1], dans une ancienne usine que la supérieure, tenace dans son rêve, a transformée en blanchisserie. L’Hospitalité du travail semble être un réservoir où l’Œuvre des Libérées verse les malheureuses qu’elle a repêchées pendant la prévention ou après l’emprisonnement. Les services que ces deux œuvres de salut et de préservation se rendent mutuellement sont considérables, et la progression en est à remarquer. Dans l’espace de cinq ans, le nombre des femmes ayant touché Saint-Lazare qui ont été accueillies par l’Hospitalité du travail a presque triplé : 210 en 1881, 627 en 1885. Toutes ne sont pas à jamais préservées, cela va sans dire, mais à toutes on a accordé le repos pendant trois mois, à toutes on a donné le relais sur le mauvais chemin, et toutes ont pu choisir une route meilleure et s’y engager. Ce n’est que cela que l’on peut demander à la charité : elle ramasse les faibles, les fortifie, leur montre la bonne voie et les guide ; mais elle ne refait point les âmes.

  1. Voir dans la Revue du 1er avril 1884, l’Hospitalité du travail.