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sentimens maternels ramèneront peut-être au bien. Mlle de Grandpré, traversant le greffe de la prison, vit une femme qui allait en sortir, portant dans son tablier un petit enfant dont les pieds étaient nus. « Mais cet enfant va s’enrhumer : ni bas, ni chaussures! — Hé! madame, je n’en ai pas, et comment en aurais-je? » De ce jour, au vestiaire des libérées on adjoignit un vestiaire pour les enfans. C’est ainsi que peu à peu l’œuvre prenait corps, à mesure que de nouveaux incidens se produisaient : un appel fut adressé aux âmes bienfaisantes, on y répondit, et l’on eut une caisse de secours où l’on put puiser pour subvenir à des besoins rigoureux. Une circonstance imprévue éternelle provoqua la création d’une sorte d’assistance judiciaire où les prévenues trouvèrent des avocats empressés à les défendre. En 1869, je crois, une jeune fille, Madeleine X.., employée dans une maison de commerce, fut accusée d’escroquerie et arrêtée. Elle avait été recommandée à Mlle de Grandpré, qui alla causer avec elle. La pauvrette jurait qu’elle était innocente. Elle était de bonne famille : un de ses frères était officier, sa sœur était institutrice dans une maison d’éducation de l’état ; à l’idée du déshonneur qui allait l’atteindre et rejaillir sur les siens, elle se désolait. La culpabilité était des plus douteuses; un bon avocat eût enlevé l’acquittement. Malheureusement, le stagiaire désigné d’office, la veille du jugement, n’avait rien de ce qu’il faut pour éclairer les juges : il étudia lestement le dossier à l’audience, échangea quelques paroles avec sa cliente, qui, après une plaidoirie des plus succinctes, fut condamnée à deux mois de prison.

Elle revint à Saint-Lazare métamorphosée; plus de lamentations, plus de désespoir; une résignation froide et une douleur concentrée : « Je suis à jamais perdue ; si j’avais eu un avocat dévoué qui eût étudié l’affaire, j’étais sauvée; ma vie est finie. » Nulle consolation, nul encouragement, ne la purent attendrir, elle restait impassible : « Je ne survivrai pas. » Rentrer dans les emplois du commerce, il n’y fallait pas songer. Elle trouva une place de domestique et l’accepta. L’humiliation de sa condition, le souvenir de son désastre, la honte de la peine subie, pesaient sur elle et ne lui laissaient plus de repos. Elle voulut mourir, écrivit à Mlle de Grand- pré : « Faites prendre mes vêtemens, vous les donnerez à des jeunes filles aussi malheureuses que moi ; ah! si j’avais eu à temps un avocat dévoué, je n’aurais pas été condamnée, » et s’empoisonna. On put la sauver et la rendre à une existence qu’elle détestait. Ce cri, que si souvent elle avait proféré: « Ah! si j’avais eu un avocat dévoué, » ne fut point perdu pour Mlle de Grandpré. C’était comme l’indication d’une piste nouvelle qui pouvait conduire au relèvement des infortunées dont son cœur était ému. Elle se mit en relations avec quelques jeunes avocats avides de travail, ardens