Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inspire celles qui viennent dans les lieux qu’il a habités pour faire renaître l’espérance et préparer la réhabilitation ! Pareilles à ces femmes du monde qui se font les gardes-malades des pauvres, qui veut dans les hôpitaux soigner les grabataires et panser les plaies répugnantes, elles sont entrées courageusement dans cette léproserie du vice pour consoler les désespérées, apaiser les révoltées et redresser les victimes de leur propre faiblesse. Labeur ingrat, mais qui ne les fait point reculer, car elles ont le cœur vaillant, et peut-être bien aussi portent-elles en secret l’orgueil de leur sexe qu’elles trouvent déprimé par nos lois masculines et qui ne reprend l’égalité complète que devant la répression. Leur lutte est incessante, car le vice est multiple et revêt toutes les formes pour se manifester comme pour se dissimuler, même à la bienfaisance qui le constate par cela seul qu’elle s’y intéresse. La violence que ces femmes de bon vouloir se sont imposée pour ne point fuir le champ de combat doit être considérable, car rien n’est plus odieux à l’honnête femme que le contact de la femme dissolue. Elles dégagent l’une et l’autre une électricité qui se repousse; ce sont les sœurs ennemies ; pour que celle-ci s’apitoie et que celle-là se laisse attendrir, il faut la rencontre de deux fortes résolutions qui n’est point fréquente et n’en est que plus louable. La femme qui laisse le foyer respecté, les enfans attentifs, la famille sans reproche pour s’engouffrer dans la sentine de Saint-Lazare, afin d’y découvrir une créature à sauver, a mis sous ses pieds les préjugés mesquins, a fait taire les scrupules conventionnels, a vaincu les timidités de son sexe développées par l’éducation. Elle ressemble à ces pêcheurs qu’au temps de ma jeunesse j’ai vus sur les bords de la Mer-Rouge : ils plongent dans la mer, sans souci des requins qui les guettent peut-être, se déchirant les muscles contre les madrépores du fond, le sang aux narines, le sang aux oreilles, mais insensibles à la douleur comme au péril, car ils espèrent rapporter la perle qu’ils cherchent et que sans doute ils ne trouveront pas. Je suis resté bien des heures à les contempler, et je les admirais, même lorsqu’ils revenaient les mains vides. Il n’est point donné à tout le monde d’accomplir la belle action, mais on ne peut qu’applaudir ceux qui la tentent.


II. — L’ŒUVRE.

Ce n’est pas la première fois que l’on s’efforce d’agir sur les détenues de Saint-Lazare ; je dis les détenues, car l’infirmerie et la correction paternelle sont ouvertes depuis longtemps aux dames du Bon-Pasteur qui y pèchent en eau trouble; — C’est le vrai mot; — qui parfois réussissent à pénétrer l’âme de quelques pauvres fillettes, prématurément perdues, qu’elles arrachent à la débauche