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pour accompagner ses imprécations. Au milieu des éclats des cuivres, sur des trilles mordans, Iago blasphème : « Je crois en un Dieu cruel, qui m’a fait semblable à lui. Je crois d’un cœur aussi ferme que la pauvre petite veuve dans le temple ; » et, sur ces mots, sa propre voix l’épouvante, la phrase tombe, comme honteuse d’elle-même. Ce Credo n’est pas un air, c’est une courte explosion, et là encore ni la vérité dramatique ni la beauté musicale ne sont sacrifiées.

Iago surveille l’entretien de Cassio et de Desdemona, et sentant venir le More, il dit tout haut : Cio m’accora, voilà qui m’inquiète. Otello surprend cette seule parole et, comme il interroge Iago, celui-ci se met à son œuvre méchante. Il a pour troubler Otello des phrases d’une traîtrise merveilleuse, des réponses humblement calquées sur les questions de son maître, de brusques sermens d’amitié, des conseils de patience, de prudence surtout. Il radoucit d’une voix mielleuse les premiers emportemens de la jalousie. Au dehors, on entend des chansons ; Iago se hâte : Vigilate, répète-t-il trois fois, et, chaque fois, le mot perfide porte plus profondément.

Les pêcheurs chypriotes, les femmes, les enfans viennent offrir à Desdemona des perles et des fleurs, lui chanter leurs canzones populaires et charmantes, auxquelles les voix un peu âpres des enfans, le grincement des guitares, donnent une saveur très relevée.

Après ce gracieux épisode, Desdemona s’approche de son époux. Elle vient, dit-elle, lui demander la grâce d’un malheureux, d’un repentant, de Cassio. Elle parle de lui, la pauvrette, avec candeur, avec amitié, comme elle en parlera toujours. La brusquerie d’Otello l’interdit. Elle approche du front brûlant de son seigneur son mouchoir parfumé et le laisse tomber. Aussitôt Émilia le ramasse et Iago s’en saisit. Cependant, à l’autre extrémité du théâtre, Otello et Desdemona chantent l’un son angoisse croissante, l’autre sa douloureuse surprise. On sait, depuis le quatuor de Rigoletto, avec quel respect, quel amour des voix et quel sentiment dramatique Verdi traite ces ensembles, où chaque personnage par le et chante sans effacer les autres et sans que les autres l’effacent. C’est un des plus précieux privilèges de la musique, cette faculté d’exprimer simultanément des passions diverses.

Au quatuor succède le grand duo de la jalousie. Nous n’en aimons pas l’extrême fin ; la reprise du serment par les deux hommes est vulgaire et semble un vieux souvenir du passé. Mais voilà l’unique page reprochable d’Otello, goutte d’eau moins pure dans une mer transparente.

Dans ce duo, avant la conclusion, les beautés abondent. Le rêve de Cassio, raconté par Iago, est un chef-d’œuvre de mélodie expressive. Quel rôle merveilleux que ce rôle d’Iago, presque toujours murmuré, et toujours musical, toujours chantant ! Otello commence à rugir ; il se