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Car nous craignons que certains dons lui manquent, lesquels seront toujours utiles, nécessaires même au romancier. « Tandis qu’elle s’occupait à étudier avec une enfantine coquetterie les attitudes propres à traduire son émotion, elle laissait cette émotion elle-même s’en aller de son cœur. » C’est M. Paul Bourget qui nous parle ainsi de Mme Termonde; et lui, pourrait-on dire, tandis qu’il étudiait son art et qu’il s’appliquait aux moyens de traduire ses pensées, il négligeait d’étudier la vie même. On ne lui a point précisément reproché d’avoir pris l’idée ou le point de départ de son André Cornélis dans une affaire criminelle qui fit quelque bruit en son temps; on a fait bien pis : on a prétendu l’en justifier! Mais plût aux dieux qu’il ne se fût pas écarté de la réalité, qu’il eût fait une fois une étude d’après le vif, qu’il n’eût pas quitté la nature d’un pas, que ses lectures, et sa science, et sa conception de la vie, et son esthétique du roman ne fussent pas venues, ici comme toujours, s’interposer entre la vie et lui. Au lieu d’anatomiser ses modèles, puisque c’est son mot, oui, plût aux dieux qu’il les copiât, qu’il les reproduisît tels quels, avec tout ce qu’ils pourraient avoir d’incohérent, d’illogique au besoin, mais de vivant au moins ! Je comprends les personnages de M. Paul Bourget, j’entre même dans leurs sentimens, je le crois, je m’en flatte peut-être, mais je me plains de ne pas les voir. C’est la vie démontée, expliquée, analysée, c’en est le mécanisme et c’en est les rouages, ce n’est pas la vie directement vue, ni par conséquent fidèlement imitée. S’il pouvait un jour sortir de lui-même, s’oublier, oublier ses méthodes, se laisser prendre bonnement aux choses, n’y vouloir pas mettre une profondeur qu’elles ne comportent pas toujours, ou, quand elles la comportent, s’en fier à nous, critiques, de la faire apercevoir aux lecteurs; s’il pouvait contempler la vie face à face; s’il pouvait!.. mais le pourra-t-il? C’est là le point, et, pour être franc, M. Bourget en est moins prés avec son André Cornélis qu’il n’en était l’année dernière avec son Crime d’amour.

Qu’il y ait, d’ailleurs, de rares qualités dans André Cornélis, nous le savons et nous en convenons volontiers. Extrêmement simple, la composition en est extrêmement forte. La diversité des mobiles successifs qui finissent par pousser André Cornélis jusqu’au meurtre en fait le seul lien; et cette succession même, — M. Paul Bourget dirait cette évolution, — est beaucoup plus qu’habilement observée. C’est encore un joli tableau que celui du modeste intérieur de la tante Louise; et le récit de la mort de l’excellente vieille fille aurait quelque chose de vraiment émouvant, si le monologue sentimental d’André Cornélis, tout à la fin, ne le venait gâter. D’ailleurs, d’une manière générale, le style de M. Paul Bourget est plus simple ici, moins embarrassé que dans ses précédens romans, plus personnel aussi, plus dégagé de l’imitation de ses maîtres. Mais on ne peut tout dire; — Et puis, comme disait déjà