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menaçant de chercher ailleurs le secours qu’où lui marchandait et de renouer avec Rome. Il affectait de dire « que la paix religieuse lui était chère, qu’il considérait les conflits comme des crises passagères et fâcheuses et non comme une institution bienfaisante. « Il dit un jour publiquement à M. Windthorst, en le regardant en coulisse : « Ceux qui ont besoin de moi savent où ils peuvent me trouver. » Ce mot causa un grand trouble à M. de Bennigsen et à son parti. A quelques jours de là, le 16 avril 1875, il prononçait cette parole mémorable : « l’histoire nous montre des papes guerroyans et des papes qui sont des hommes de paix. j’ose espérer que nous verrons un jour monter sur le trône pontifical un homme pacifique, qui ne prétendra pas que le monde entier doive obéir à un élu du clergé italien, mais qui laissera chacun vivre à sa façon, qui sentira le besoin de s’entendre avec la puissance temporelle et avec lequel il sera possible de conclure la paix. »

Le 3 mars 1878, un pape pacifique succédait au bouillant Pie IX, et peu de temps après son couronnement, on commençait à négocier avec lui. Mais on lui demandait de grandes concessions, on lui en promettait peu, et comme il joignait à la douceur beaucoup de prudence et de fermeté, la négociation fut laborieuse. Ce qui assouplit le chancelier, ce qui détermina son évolution, ce furent les élections de 1881, qui déçurent toutes ses espérances et détruisirent la majorité sur laquelle il s’appuyait. Les progressistes et le parti du centre s’étaient notablement renforcés, les nationaux-libéraux avaient essuyé une humiliante défaite : ils ne disposaient plus que d’une quarantaine de voix. Peu de jours après, M. de Bismarck déclarait avec une certaine mélancolie qu’il se voyait contraint de changer ses plans, que ses amis étant devenus trop faibles pour le soutenir, il était obligé de s’en procurer d’autres, et, pour se mettre à l’aise, il se plaignit que son ancienne majorité avait eu souvent des torts envers lui, qu’elle avait voulu lui imposer d’inacceptables conditions, que ne pouvant venir à bout de sa résistance, elle avait tenté « de le prendre par la famine, » qu’il avait dû demander du secours au parti du centre pour accomplir sa grande réforme des tarifs douaniers.

Au surplus, touché subitement de la grâce, il avait fait une découverte qui mettait sa conscience en paix. Il s’était assuré, après y avoir longuement réfléchi, qu’en définitive le pape n’est pas un Italien, et, dans cette même séance, il affirmait que l’église catholique en Allemagne est une institution nationale de l’empire allemand, que le pape, en tant qu’il est son chef, ne doit pas être considéré comme un souverain étranger. Il l’avait pris longtemps pour un Italien, il était revenu de son erreur. La politique a ses casuistes : désormais, ses scrupules étant levés, le chancelier pouvait demander au saint-père de l’aider à régler à sa guise certaines questions purement allemandes.