Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et nous sommes en plein « quaternaire, » c’est-à-dire au sein d’une Europe très différente, par son aspect, ses productions et les êtres vivans qu’elle possède, du continent que nous habitons, sans que rien puisse encore faire deviner les progrès futurs dont l’humanité devait pourtant donner plus tard le spectacle.

Toutes ces notions ont été classées, ordonnées, régularisées. Les âges divers se trouvent caractérisés par la race, par la nature et la forme des instrumens, enfin par les animaux contemporains et caractéristiques. — En France, nous partons des graviers de la Somme, des sables de Grenelle, du temps des éléphans, des rhinocéros et des hippopotames : c’est le premier âge, la race de Canstadt de M. de Quatrefages, le « chelléen » de M. de Mortillet ; puis on arrive à l’âge du moustier, celui du grand ours des cavernes, pour aboutir à l’âge du renne, à la disparition graduelle du mammouth, à la race artistique de Cro-Magnon, précédée par celle de Solutré et conduisant par étapes aux derniers temps de la pierre taillée, puis aux « kjœkenmœdings, » et enfin à la période néolithique, pendant laquelle les cités lacustres, les cavernes habitées ou converties en sépultures, les constructions mégalithiques, offrent le tableau d’une société véritable, ayant ses rites, son idéal, son organisation, mais ignorant encore les métaux et même le bronze, introduit pourtant bien avant le fer, d’où que le premier de ces métaux soit venu.

Le mérite de M. Cartailhac, dont le nom est une garantie de sincérité scientifique, c’est d’avoir appliqué ces notions générales à l’étude d’un champ d’exploration aussi riche que peu connu jusqu’à présent. La Péninsule ibérique a déjà livré ou laissé entrevoir bien des documens paléanthropiques, quelques-uns de premier ordre, d’autres plus ou moins contestés ; mais on n’aurait pas soupçonné, avant le beau volume que nous avons sous les yeux, un accord aussi exact, une correspondance aussi complète entre les faits observés sur notre sol et ceux qui résultent des recherches poursuivies sur l’autre versant des Pyrénées. C’est une révélation véritable, une confirmation éclatante des vues émises par nos savans sur la façon dont les races préhistoriques ont dû se développer et se succéder, sur la signification à attacher aux vestiges laissés par elles dans leur passage à travers les âges. — Avec quel art l’auteur rend la vie à ces peuplades primitives et traduit leur physionomie! Il les évoque devant nous avec leurs instincts si variés; il les suit dans leurs migrations présumées; il retrouve leurs procédés industriels et reconstruit leur manière d’être. En même temps, il discute, il compare, il devine et il nie au besoin, lorsqu’il se heurte à des opinions hasardées ou à des hypothèses non justifiées. La préface magistrale de M. de Quatrefages ne dissimule pas ces divergences de vues qui honorent les deux savans et témoignent