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dents s’apprête à vous mordre. Nous n’usons pas davantage d’une faculté spéciale pour interpréter l’expression de la figure chez une jeune femme qui détourne la tête, ferme à demi les yeux comme pour ne pas voir, et serre les lèvres : tous ces mouvemens indiquent suffisamment le dédain.

Selon M. Spencer, l’interprétation des signes s’expliquerait par une association purement mécanique. Une même cause, agissant sur plusieurs animaux à la fois, leur fait par exemple pousser un même cri d’alarme ; la peur et le cri entendu finissent par s’associer machinalement : cette association même, grâce à la survivance des mieux doués, devient organique et héréditaire : à la fin, la seule audition du bruit d’alarme suffit donc à éveiller machinalement le sentiment de l’alarme elle-même. — Sans nier ici l’influence de l’habitude et de l’hérédité, nous croyons que cette explication de M. Spencer demeure encore trop extérieure : il y a une liaison intime, à la fois physiologique et psychologique, entre le cri de détresse et la détresse même. Ce cri, à lui seul, produit un mode d’ébranlement nerveux qui, par lui-même, provoque l’alarme, parce qu’il est déjà une alarme intérieure, une suite de chocs nerveux précipités : c’est ce que nous avons appelé tout à l’heure une panique de cellules, et la panique collective n’en est que l’agrandissement. Ce que font l’hérédité et la sélection, c’est simplement de rendre de plus en plus grande l’espèce de sonorité interne par laquelle un être répond à l’émotion d’autrui. Et pourquoi cette sonorité devient-elle plus forte à mesure que l’être a plus d’intelligence ? — C’est qu’alors, son pouvoir de représentation étant accru, il peut se représenter avec plus de vivacité ce que ressentent les autres êtres et consécutivement le ressentir lui-même. Mais ce sont moins les sympathies intellectuelles que les sympathies organiques qui sont les vraies conditions de la vie affective et aimante : les fonctions intellectuelles, en effet, offrent encore un caractère d’intermittence ; les sympathies des organes entre eux, au contraire, ne cessent jamais entièrement jusqu’à la mort ; il en résulte un constant besoin de sympathiser avec autrui, qui est l’extension même du concert commencé dans notre organisme. Auguste Comte a eu raison de dire qu’on se fatigue de penser ou d’agir, jamais d’aimer. Nous nous aimons toujours nous-même et nous aimons toujours autrui malgré nous. Sensibilité, c’est nécessairement sociabilité.

Les physiciens ont réussi, par une combinaison de gaz et d’appareils de pression, à produire ce qu’on appelle des « flammes sensitives, » c’est-à-dire impressionnables au plus léger bruit. Si la flamme sensitive a deux pieds de longueur, le moindre son la fait s’affaisser de moitié : un bruit de clés, un froissement de papier, la