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d’association, qui lie les sensations aux sentimens analogues. Cette loi joue dans l’expression un rôle capital, Wundt a montré avec raison ce qu’il y a d’exact dans les images de la langue vulgaire : une dure nécessité, une douce tendresse, des peines amères, de noirs soucis, une sombre destinée[1]. Ces images, loin d’être complètement artificielles, ont leur naturelle origine dans la constitution de notre sensibilité et dans le rapport des organes sensibles aux muscles moteurs. Nos organes sensibles sont pourvus de muscles qui ont le double but de les disposer à mieux recevoir les excitations favorables et d’écarter les agens nuisibles. La bouche prend une forme et une expression différentes suivant que nous goûtons une liqueur sucrée ou que nous avalons une boisson amère ; dans le premier cas, elle semble se disposer pour attirer et recevoir, dans le second pour repousser et délivrer. L’obscurité, une lumière trop vive, un jour tranquille, donnent tour à tour à la figure une physionomie différente : l’obscurité nous fait écarquiller les yeux pour recevoir les rayons trop rares ; l’éclat du soleil nous fait froncer le sourcil pour protéger notre vue ; un jour tranquille imprime au visage un air de sérénité. En vertu de l’association des sentimens avec les sensations semblables et de celles-ci avec leur expression corporelle, les sentimens agréables ou désagréables, joie, estime, crainte, douleur, mépris, se manifestent par des contractions musculaires qui rappellent, soit l’action des saveurs ou odeurs flatteuses, et l’éclat d’une lumière tempérée, soit l’amertume ou les odeurs empoisonnées, les ténèbres et l’aveuglement. Le dégoût physique et le dédain moral se marquent par la bouche ouverte comme pour rejeter un aliment qui déplaît, par l’expiration à travers le nez comme pour repousser une mauvaise odeur, par les yeux demi-fermés comme pour ne pas voir, enfin par les mains levées comme pour écarter l’objet. Tous ces mouvemens sont devenus habituels, héréditaires et instinctifs. Si l’expression est la même pour la sensation physique et le sentiment moral, c’est que les deux ont leur unité non pas seulement, comme a dit M. Sully Prudhomme, dans le même « champ de la conscience, » mais encore dans un même mouvement de l’appétit et de la volonté. Aussi ce sont les images empruntées au toucher, à la résistance et à la force motrice qui sont les plus nombreuses et les plus

  1. M. Sully Prudhomme (l’Expression dans les beaux-arts) a fait un long tableau des expressions physiques appliquées au moral. M. Mantegazza, sous le nom de synonymies mimiques, rapproche les douleurs de l’odorat et la mimique du dédain, les plaisirs de l’odorat et la volupté amoureuse, les douleurs de l’amertume et celles du chagrin ou de l’amour-propre contrarié, les plaisirs ou douleurs de l’ouïe et les affections tendres, les plaisirs ou douleurs de la vue et les affections intellectuelles, etc.