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plus facile ; les fonctions cérébrales s’accomplissent avec plus de rapidité et d’aisance: l’intelligence est plus animée, la sensibilité plus expansive, la volonté plus bienveillante. En un mot, l’expression de la joie est une expression générale de liberté et, par cela même, de libéralité. La joie, d’ailleurs, n’est pas toujours pure. Si elle est trop violente ou trop inattendue, elle se trouve en opposition trop forte avec le cours antérieur des sentimens et des mouvemens ; elle produit donc un choc trop violent qui peut avoir son côté pénible : « La joie fait mal, la joie fait peur. » Mais ce sont là des effets dérivés du manque d’adaptation préalable et de la résistance que rencontre alors l’émotion de la joie; cette résistance est une peine, qui s’oppose tout d’abord au plaisir et lui dispute l’entrée de la conscience.

Maintenant, passons à l’expression immédiate de la peine. Au premier moment, l’affaissement d’activité s’exprime par un affaissement général de force motrice. « Les lèvres sont relâchées, dit Charles Bell ; la mâchoire inférieure s’abaisse, la paupière supérieure tombe et recouvre à moitié la pupille de l’œil ; les sourcils s’inclinent comme le fait la bouche. « Il est vrai qu’en même temps d’autres muscles se tendent et entrent en jeu, par exemple le sourciller, l’orbiculaire, les lèvres, surtout le canin abaisseur de l’angle de la bouche, que Bell appelait même « le muscle de la peine. » Mais M. Bain montre fort bien que les muscles qui se contractent alors ont précisément pour objet de permettre le relâchement des autres muscles : « Avec une petite force on en relâche une plus grande. » La dépense a ici pour objet une épargne, et c’est, à notre avis, parce que le premier mouvement en face de la douleur, étant un mouvement de conservation et de concentration sur soi, est aussi une tendance à épargner la force qu’on sent diminuer : on se retire de la douleur, on tâche de se ressaisir.

Le premier stade de la douleur ne dure pas longtemps, la réaction commence aussitôt. Si la volonté peut consentir au plaisir, elle ne peut consentir à la peine : elle se défend, elle lutte. Après le premier coup de la douleur qui abat, du moins quand elle est massive, on voit donc se produire les signes de l’effort. Souvent cet effort est spasmodique, il s’exerce irrégulièrement dans tous les sens, il est une prodigalité de la force, qui ne peut manquer d’amener bientôt la prostration. Pendant l’effort se produit ce phénomène expressif de la contraction des sourcils qui a donné lieu à mainte discussion. M. Spencer, nous l’avons vu, l’explique par un reste des habitudes de combat; M. Mosso, lui, dit que ce mouvement fut, à l’origine, un mouvement d’attention, qu’il s’est associé ensuite avec le sentiment d’effort et avec les émotions où la peine entre comme élément; ces deux explications, selon nous,