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pas ramener la surprise à une sorte d’effroi. En fait, chez les animaux inférieurs, l’étonnement n’est guère que de l’effroi, c’est-à-dire de l’aversion. L’être vivant ne vit pas d’abord pour penser : encore faut-il auparavant qu’il vive, primo vivere. Or des êtres qui n’auraient pas éprouvé des effets d’aversion ou d’inclination en présence des choses « inattendues » n’auraient pu vivre : il faut avant tout que leur volonté réagisse à l’égard des objets, soit pour s’en approcher, soit pour s’en écarter. Il s’ensuit que la réaction de l’appétit est la cause, non l’effet, de la réaction intellectuelle appelée attention. Nous dirons dès lors, contrairement à Wundt, que la surprise est de l’effroi diminué, émoussé, contre-balancé, réduit à la sphère intellectuelle, de manière à paraître voisin de l’indifférence sensible : mais, au fond, la surprise est encore un mouvement du désir et non de la pure pensée. A l’égard de l’inconnu, la volonté prend d’abord une attitude défensive et négative, commandée par les nécessités mêmes de la vie et de la lutte pour l’existence; puis, selon les cas, elle continue de refuser ou, au contraire, elle accepte. Toute nouveauté brusque et non encore approfondie est tenue jusqu’à nouvel ordre pour un danger; les animaux n’ont commencé par être ni des contemplateurs curieux de choses nouvelles, ni des novateurs, mais des conservateurs toujours tremblans devant l’inconnu. Nous ne pouvons donc considérer l’étonnement, avec Descartes, Bain et Wundt, comme l’émotion vraiment primitive. Descartes a beau dire : « l’étonnement est antérieur à toutes les autres passions, puisqu’il peut se produire avant que nous sachions aucunement si tel objet nous est convenable ou ne l’est pas : » Descartes raisonne d’après les résultats présens de notre organisation très développée, devenue de plus en plus intellectuelle; s’il avait connu la théorie de l’évolution, il eût compris qu’à l’origine l’étonnement dut être un mouvement de défensive, avec effort protecteur. Même aujourd’hui, l’étonnement conserve les caractères de l’effort intellectuel, de l’effort musculaire, enfin de l’émotion qui accompagne la crainte.

L’étude des effets physiques va d’ailleurs nous éclairer ici sur la nature des causes. L’étonnement se manifeste par les yeux ouverts, les sourcils élevés, la bouche ouverte, les mains levées. Si les yeux s’ouvrent, c’est qu’ils font effort pour mieux voir l’objet qui étonne ; un degré de plus, et l’ouverture des yeux marquera l’effroi. Si les sourcils s’élèvent, c’est qu’il est difficile de soulever entièrement les paupières sans élever en même temps les sourcils et plisser le front. Si la bouche est ouverte, c’est, en premier lieu, parce que le relâchement des muscles, dont a fui une partie de l’innervation nerveuse employée au cerveau, fait tomber la mâchoire par son propre poids; en second lieu, la bouche ouverte permet une inspiration profonde, nécessaire toutes les fois que nous avons quelque