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habitudes héréditaires. Les signes de l’affirmation et de la négation, en particulier, semblent venir de ce que l’enfant, pour rejeter la nourriture dont il ne veut pas, par exemple pour refuser le sein de sa mère, secoue latéralement la tête ; au contraire, pour prendre le sein de sa mère ou la nourriture qu’on lui offre, il penche la tête en avant. Ces mêmes gestes, étendus à toute négation et à toute affirmation, sont devenus héréditaires et instinctifs chez un grand nombre de races. L’acte de serrer les poings et de montrer les dents a été primitivement volontaire au moment de combattre l’ennemi ou pour le défier ; puis cet acte s’est associé peu à peu au sentiment de la colère et est devenu machinal ; enfin il s’est transmis par hérédité, et aujourd’hui encore nous serrons les poings dans la colère, même si l’ennemi est absent. Un des exemples les plus frappans de l’hérédité est l’action de découvrir la canine d’un seul côté de la bouche, comme font les chiens qui découvrent la canine voisine de leur ennemi. Chez l’homme, ce mouvement, joint à l’inclinaison de la tête en arrière, marque le ricanement de défi ou de souverain mépris, quoique nous n’ayons plus l’intention d’attaquer l’ennemi à coups de dents.

Quelque étendus que soient réellement les effets de l’hérédité, on peut reprocher à Darwin d’avoir fait la part trop grande aux causes extérieures, à la sélection et au milieu. C’est dans les tissus mêmes de l’organisme, dans les intimes propriétés de la substance vivante, qu’on doit avant tout chercher les raisons mécaniques et physiologiques des phénomènes d’expression. Par exemple, les disciples de Darwin ont représenté la contraction des sourcils comme un mouvement que les animaux trouvèrent originairement avantageux dans le combat et qui fut pour cela préservé par la sélection naturelle. Mais, demande avec raison M. Mosso, si un avantage aussi léger que la contraction des sourcils a pu produire par sélection un appareil musculaire aussi compliqué, comment expliquer que cette même sélection naturelle n’ait point trouvé un remède au désavantage bien plus sérieux que produit, dans la crainte, la dilatation de la pupille avec obscurcissement de la vue[1]? La vraie explication de ces faits, selon M. Mosso, est toute physiologique. Dans l’organisme, il y a une hiérarchie de parties et de fonctions ; parmi les diverses parties, le système nerveux est prépondérant : la circulation doit

  1. La paralysie produite par la peur, ou la cataplexie, n’est pas non plus un phénomène «utile». Quand on pousse un long cri dans l’oreille d’une poule, elle tombe comme morte, et si on place son cou sous son aile, elle demeure longtemps immobile. Le regard du serpent fascine l’oiseau, et cette fascination est nuisible : « Il y a aussi, dit M. Mosso, des serpens qui demeurent raidis par la peur quand on leur comprime la tête, comme on raconte que fit Moïse devant Pharaon. » Kircher et Royer ont fait de nombreuses expériences analogues.