Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’accoutume à penser à la française et que la langue des palicares, dans son retour à l’ancien grec, n’emploie pas les formes de phrase synthétiques de Thucydide ou de Schiller, mais les formes analytiques, claires et tout à fait humaines et modernes de Voltaire. Ceux qui écrivent dans l’ancien style, même les journaux qui font leurs phrases à la manière de Xénophon ou de Démosthènes, sont tenus pour des pédans. Et l’on a raison : car la langue grecque moderne, déjà grandement améliorée, peut s’épurer entièrement, tout en adoptant les formes parfaites créées par l’esprit moderne et notamment par nos écrivains du XVIIIe siècle. On m’a posé cent fois cette question : le grec moderne diffère-t-il beaucoup du grec ancien ? J’ai constamment répondu non. Si un voyageur s’adresse à des gens qui n’ont point été à l’école et ne parlent que la langue des klephtes, il ne reconnaîtra pas du tout le grec ancien, dont les mots ont été tronqués, allongés, déformés de la façon la plus bizarre et mêlés d’une foule de mots étrangers, albanais, slaves, turcs, latins. Mais cela n’est pas plus le grec moderne que le patois berrichon n’est le français. Ouvrez au contraire un livre sérieux, tel que l’Histoire grecque de M. Paparigopoulos, dont la Revue a rendu compte en son temps, ou un bon journal, tel que l’Acropolis, la Palingénésie, l’Hestia, vous reconnaîtrez que, sauf quelques mots et quelques altérations de peu d’importance, leurs articles sont écrits en langue ancienne avec un matériel antique revêtu de formes françaises.

Le théâtre est dans une situation difficile ; car si l’auteur dramatique prend les anciens pour modèles, il fait une imitation de l’antique qui ne peut guère rivaliser avec les originaux et qui ne répond pas à l’esprit moderne. Dans ce cas, il vaudrait mieux représenter des pièces de Sophocle ou d’Euripide, comme on le fait quelquefois. S’il veut se mettre d’accord avec les usages modernes, il a derrière lui toute la production dramatique de nos derniers siècles et l’effrayante production contemporaine de nos dramaturges. On se contente alors de traduire et l’on joue ὁ Πύργος τοῦ Νέλ, la Tour de Nesle ; ou, ce qui est plus fréquent, on se contente d’engager une troupe de comédiens français qui jouent le drame et le vaudeville. C’est en somme une assez médiocre éducation littéraire que celle qu’on peut tirer des théâtres d’Athènes et du Pirée. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas encore dans le pays un théâtre national ? La période héroïque de la Grèce moderne fournit à profusion des sujets pour la scène dramatique.

J’en dirai autant de la musique, pour laquelle les Grecs modernes sont dans une mauvaise voie, d’où il ne tient qu’à eux de sortir. Comme ils se sont laissé envahir par de médiocres architectes allemands, dont un voulait jadis bâtir le palais du roi sur