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des cultes, ou du moins grossir celui qu’ils ont déjà, tandis qu’en France on tend à le supprimer. Si c’en était ici le lieu, on pourrait montrer aisément que cette divergence n’a pas sa cause dans l’organisation politique, ni dans l’état moral des deux nations, mais uniquement dans la constitution des deux églises.

Toutefois, en Grèce, l’immixtion plus profonde de l’état dans les affaires de l’église rencontre une opposition sérieuse chez les personnes qui veulent l’indépendance absolue de l’un et de l’autre. Quelques-unes sont des hommes de foi, persuadés que la religion n’a rien à gagner dans la dépendance où elle serait mise. D’autres sont des incrédules, qui ne reconnaissent pas à la foi les vertus qu’on lui attribue et qui regardent la religion et le clergé comme inutiles, sinon comme nuisibles. Le nombre de ces derniers, presque nul en 1830, s’est accru peu à peu et augmente rapidement à l’heure où nous sommes. j’ai connu plusieurs Grecs, gens instruits, bons patriotes et occupant des postes élevés, qui faisaient profession d’incrédulité. Je sais bien qu’un consul, portant un nom bien connu, fut révoqué naguère pour avoir publié un livre irréligieux ; mais la mesure qui le rappelait fut généralement désapprouvée, parce que, tout incrédule qu’il était, il n’en remplissait pas moins bien ses fonctions. Je crois que depuis lors les idées de tolérance ont fait de nouveaux progrès et qu’on ne destituerait plus un consul pour crime d’irréligion.

Ce mouvement des esprits va du centre à la circonférence ; c’est Athènes qui en est le point de départ. Les causes qui le produisent se réduisent à une seule, le progrès de l’instruction. Celle-ci, sous quelque forme qu’elle se présente, dépose dans les esprits des semences d’incrédulité ; ce sont les méthodes de la science plus que ses résultats positifs qui font éclore ces germes. On croit que l’enseignement donné par des prêtres conserve mieux la loi que celui des laïques ; c’est une illusion, puisque nos plus grands incrédules sont sortis d’écoles religieuses et même de séminaires. La Grèce ne peut pas faire exception ; ses écoles, comme celles des autres pays d’Europe, engendrent l’incrédulité ou lui préparent le terrain. Cette marche des esprits est accélérée par l’usage de plus en plus répandu d’envoyer les jeunes gens compléter leurs études en France ou en Allemagne. Dans ces pays, toute notion que l’on croit acquise est soumise à l’examen ; mise au creuset, elle s’y refond et bien souvent s’évapore. Sans compter que les jeunes Hellènes se trouvent là dans un milieu assez nouveau pour eux : les pratiques religieuses y sont délaissées par presque toute la jeunesse. Ceux qui s’y livrent sont tenus pour des bigots ou pour des gens de l’ancien régime égarés dans le siècle présent. Les pouvoirs publics