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française ne nous a pas soustraits à une domination étrangère; elle a donné la solution d’un tout autre problème, celui de l’unification d’élémens intérieurs discordans, solution qui a consisté surtout dans l’égalité devant la loi. Du temps des Turcs, les Hellènes étaient égaux entre eux, égaux dans la servitude. Les anciennes distinctions byzantines, puis celles que la conquête latine avait créées, ces seigneuries, ces titres de noblesse de tout degré avaient disparu sous le sabre ottoman. On peut même dire que les familles nobles ou riches avaient été plus maltraitées que les autres : les conquérans pouvaient les craindre, et pour cela même les humiliaient en les ruinant; quant au pauvre paysan, le Turc avait besoin de lui pour se faire nourrir. Ainsi l’on vit disparaître les grandes familles byzantines dans la pauvreté et la misère. Quelques-unes, même des familles impériales, ont encore des descendans, mais qui ne diffèrent en rien des autres Grecs. Si quelqu’un d’eux se distingue dans la nouvelle société hellénique, c’est uniquement par sa valeur personnelle; ce n’est point par le nom dont il a hérité. Voilà comment le niveau fut passé sur ce peuple hellène, chez qui les classes aristocratiques avaient brillé d’un si vif éclat dans deux civilisations successives.

Les mêmes causes firent disparaître des villes les classes supérieures de la nation. Les uns s’enfuirent à l’étranger, d’autres qui restèrent furent malmenés ou se firent mahométans, ou se mirent au service des Turcs ; plusieurs, qui avaient passé à l’ennemi, devinrent les plus redoutables oppresseurs de leurs compatriotes; l’histoire en cite quelques-uns. A la place de ces hommes de classe supérieure, le gouvernement turc mit ses propres administrateurs, ses chefs militaires et ses soldats. Ainsi les villes ne se composèrent plus que de deux sortes d’habitans : les maîtres, qui représentaient et exerçaient la puissance ottomane, et la foule des petits marchands et des esclaves chrétiens. Ces villes allaient diminuant, soit par la fuite volontaire à l’étranger, soit par la dureté du joug qui pesait sur elles et décourageait la reproduction. Quand un délit était commis contre un musulman par un chrétien, ne fût-ce qu’un mot de ressentiment contre l’oppression, la position du chrétien n’était plus tenable; il fuyait la ville et se jetait dans la montagne. Ainsi, à mesure que la population des villes et des bourgs diminuait, le nombre des klephtes augmentait. Ces klephtes étaient les moins soumis et les plus vaillans des Hellènes. Traqués comme des malfaiteurs ou des révoltés, ils échappaient aux poursuites « sur les crêtes et dans les ravins. » Ils y vivaient, eux, leurs femmes et leurs enfans, aux dépens des gens de la plaine, qu’ils supposaient toujours être des musulmans ou des serviteurs des pachas.

Cet état de choses explique comment des industries qui seraient aujourd’hui dans la plaine se créèrent dans la montagne, celle d’Ambélakia